1. Bonjour Mr Mercat. Bac à 15 ans, ingénieur diplômé de l’Ecole des Arts et Métiers, licencié 6 ans en 1ière catégorie avec un total de 73 victoires….inventeur d’une centaine de famille de brevets. Que manque-t-il pour être complet sur votre présentation ?
Pour être exact je suis rentré en terminale à 15 ans et j’ai donc passé mon bac à 16 ans… Je suis le 4° d’une fratrie de 7 garçons. J’ai maintenant 48 ans, marié avec 3 enfants et je suis toujours passionné de vélo et de mécanique.

2. Vous êtes aujourd’hui responsable de recherche chez Mavic depuis 23 ans (décembre 1991) après avoir travaillé chez Look. Le cyclisme est donc réellement ancré dans vos gènes ?
Mon frère Nicolas m’a fait découvrir le cyclisme tardivement vers 15 ans alors que je n’étais pas particulièrement sportif. Nous sommes ensuite partis tous les étés en vacances à l’étranger entre frères et copains, en ramenant pleins de souvenirs inoubliables.
Les licences FFC se sont ensuite enchainées et les victoires aussi. Le vélo est pour moi une des plus belles inventions, car cet engin très simple nous permet de nous déplacer efficacement, de voyager à travers le monde, en utilisant exclusivement notre propre énergie humaine.
Le cyclisme est aussi très vite devenu un grand sport incarnant de fortes valeurs comme le dépassement de soi et la persévérance. J’aime le vélo sous ses multiples facettes depuis les vélos de route, de piste, de cyclo-cross, les vélos couchés, toutes les disciplines de MTB et de BMX sans oublier les vélos urbains qui sillonnent de plus en plus nos villes car comme de nombreux collègues, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, je ne raterai pour rien au monde mes 2 x 10 Kms quotidiens pour me rendre au travail.

3. En quoi consiste votre travail au sein de Mavic ? Des inventions pour de nouveaux produits uniquement ou vous améliorez aussi les produits existants ?
Annecy-Design-Center-001.jpgMon équipe a 3 missions principales chez Mavic. La première est d’inventer pour améliorer sans cesse nos produits et de les protéger par des brevets. La seconde consiste à mesurer la performance des produits en réalisant des expérimentations nous permettant de mesurer les performances de nos produits et de la concurrence et de comprendre pourquoi certains produits sont plus performants que d’autres.
Nous réalisons par exemple de nombreux essais en soufflerie ou des tests d’adhérence de pneumatiques et pour cela, nous avons du développer des bancs de mesure très sensibles nous permettant de comparer très finement et sur différents critères la performance de nos produits.
Enfin, la 3° mission consiste à optimiser la conception de nos produits notamment à l’aide d’outils numériques et en recherchant des matériaux toujours plus performants.

4. Utilisez-vous le retour du peloton professionnel pour faire des modifications sur les produits ou tenter de trouver des solutions nouvelles encore inexplorées ?
Mavic a toujours été très proche de toutes les compétitions cyclistes, la compétition a toujours fait partie de nos gènes.
La compétition est pour nous la meilleure façon de toujours repousser les limites techniques mais il est aussi un formidable terrain d’essai et d’exigence. Depuis quelques années, nous avons renforcé nos partenariats techniques avec le milieu professionnel en ayant un service développement produits courses exclusivement focalisé sur le développement et le suivi de nos produits. Ce partenariat nous a permis d’apporter de nombreuses améliorations à nos produits de série mais aussi de nous assurer que nos produits répondent bien aux exigences ultimes du peloton pro.

5. Vous êtes à l’origine du premier capteur de puissance cycle, le Look MaxOne. Qu’est-ce qui a fait que selon vous, il n’a pas rencontré le succès en 1989 quand on voit aujourd’hui que les capteurs de puissance sont de plus en plus utilisés ?
Look-MAXone-005.jpgEn 1989, la performance et la consommation des microcontrôleurs étaient très limitées, de plus les technologies sans fils autonomes n’étaient qu’à leur balbutiement, il nous avait fallu trouver une solution de mesure de couple simple et consommant très peu. Avec l’évolution exponentielle des performances des microcontrôleurs et des protocoles de transmissions de données comme ANT+, la conception d’un capteur de puissance est beaucoup plus accessible aujourd’hui.

Look-MAXone-002.jpgDe plus, le capteur de puissance Maxone avait été conçu à l’époque où les moyeux étaient encore principalement des moyeux utilisant des roues-libres à visser à 7 ou 8 vitesses. Or, à cette époque, Shimano était en train d’imposer sur le marché son concept de moyeu roue-libre qui allait définitivement prendre le pas sur les roues libres à visser.
Look n’étant pas un fabricant de moyeu ni de cassette, cette mutation rapide ne nous était pas vraiment accessible. Le produit avait aussi connu au départ quelques petits problèmes de fiabilité liés notamment à la connectique qui ont affecté quelque-peu son lancement.

6. Potence Ergostem, direction intégrée sur le Look 196, groupe électronique Mavic Mektronic en 1993, rayons Tracomp sur les roues Mavic R-Sys…quelles inventions vous doit-on encore ?
Je pourrai en citer bien d’autres, notamment les brevets protégeant notre technologie de fluoperçage « Fore » ou notre brevet d’usinage « ISM » qui permet d’alléger nos jantes. Ce brevet est sans aucun doute le plus envié de nos concurrents, il a fait l’objet de nombreuses copies à travers le monde avec de très nombreux procès qui nous ont à chaque fois permis d’enrayer les contrefaçons.

Certes, j’ai très fortement contribué à ces inventions, mais la plupart du temps les inventions sont le fruit d’un travail d’équipe et nous encourageons en interne les séances de brainstorming ou l’utilisation de méthodes de créativité.

7. Vos innovations semblent sans limites. Sur quoi travaillez-vous désormais du côté des vélos de route ? De nouveaux matériaux, amélioration des alliages ou composites existants (grâce aux nano-technologies ou au graphène par exemple) ?
Nous travaillons effectivement sur les matériaux qui suivent de très près les matériaux utilisés dans l’aéronautique mais nous concentrons la majorité de nos efforts dans l’optimisation de notre système roue + pneu où le potentiel d’amélioration du système nous parait très important…

8. Est-ce que les normes UCI sont limitatives pour vous ou voyez-vous cela plutôt comme un challenge ?
Les normes UCI sont bien limitatives. Dans l’esprit, elles viseraient à mettre tous les cyclistes sur un pied d’égalité sur le plan matériel, nous comprenons bien cette volonté louable en théorie sur le plan éthique mais je la trouve parfois contraire à l’évolution nécessaire de notre sport. Un sport qui n’évoluerait pas n’intéresserait plus grand monde et notre mission et volonté est aussi de repousser sans cesse les limites de la performance.

000003544.jpg

9. On parle beaucoup du système de freinage à disque qui arrive sur les vélos de route. Mais n’y a-t-il pas encore moyen, selon vous, d’améliorer le freinage via des étriers ?
Le freinage à disque impose un transfert de couple entre la jante et le moyeu via les rayons, il contraint donc plus la structure de la roue. Une roue disque est donc nécessairement plus lourde qu’une roue à freinage à patins, le bilan poids du disque est donc assez défavorable d’autant qu’il faut aussi tenir compte du surpoids des disques.
Cependant, le freinage à disque apporte des avantages indéniables car il évite l’usure et l’échauffement de la jante qui peuvent être très dommageables sur beaucoup de jantes composites du marché. De plus, si les matériaux sont bien choisis, il a un couple de freinage assez stable quelles que soient les conditions climatiques. Mais il ne faut pas oublier que quand il pleut, l’adhérence du pneu sur la route diminue rapidement et l’on n’améliore rien s’il l’on vient à bloquer trop facilement la roue sous la pluie. Je pense que le frein à disque ne prendra un réel essor commercial sur la route que si les équipes pros viennent à l’utiliser et pour cela il faudrait déjà un accord de l’UCI qui refuse de l’introduire tant que toutes les équipes n’y ont pas accès en craignant qu’il y ait trop d’accident dans le peloton si les disparités de freinage devenaient trop importantes entre les coureurs équipés de disques capables de s’arrêter brutalement sous la pluie et les coureurs équipés de mauvaises jantes carbone incapables de s’arrêter.

Pour revenir au freinage sur jante par étriers, ils ont fait d’énormes progrès ces 20 dernières années et Shimano et SRAM viennent de proposer des étriers hydrauliques analogues sur le principe aux freins Magura HS77 qui datent de 1994. Mais il manquait des groupes ayant des leviers avec émetteurs hydraulique, c’est donc maintenant chose faite, preuve sans doute que ni Shimano ni SRAM n’aient parié aujourd’hui sur une généralisation du frein à disque pour vélo de route, ils attendent sans doute que le marché fasse lui-même son choix.

10. Le freinage à disques a-t-il réellement un avenir et une utilité sur la route ?
Il a un réel intérêt en cyclo-cross si l’on ne vise pas l’allégement absolu, il a aussi un intérêt si l’on utilise des jantes composites médiocres, il peut séduire aussi les « techno addict » toujours à l’affût des dernières innovations permettant de différencier leur vélo. Mais personnellement, mes premiers essais ne m’ont pas convaincu de l’avantage concurrentiel qu’il procure par rapport à un freinage sur jante composite de qualité, mais je ne mettrai pas non plus ma main à couper que dans 20 ans le marché n’ait pas fini par basculer…

000014345.jpg

11. Toujours côté freinage, mais du côté des roues carbones. Il y a quelques années, Mavic avait commercialisé des jantes revêtues d’un revêtement céramique pour un meilleur freinage. N’est-il pas possible d’adopter une technologie similaire sur une jante en carbone ?
La céramique permet d’éviter toute usure de la jante et augmente aussi le coefficient de frottement du patin, malheureusement, ces céramiques ont un allongement très faible qui fait qu’elles sont très fragiles et peuvent s’écailler facilement . De plus, leur dépôt par torche plasma est incompatible avec les températures limites des résines des composites, ces premiers essais n’ont donc pas été satisfaisants.

12. Mavic n’a toujours pas investi le domaine des jantes tubeless sur la route. Pour quelles raisons ?
Nous avons énormément travaillé sur le sujet avec Michelin et Hutchinson, le système fonctionne mais nous avions estimé qu’il n’apportait pas suffisamment de bénéfices pour l’utilisateur.
Le système Tubeless apporte certes l’avantage d’améliorer la résistance à la crevaison notamment par pincement mais en revanche, le système roue/pneu tubeless est significativement plus lourd qu’un système roue/ pneu/chambre et la mise en place et la réparation sont aussi plus délicats. Ces 2 raisons font que nous n’avions pas souhaité mettre ce système Tubeless sur le marché car il ne représentait pas pour nous une réelle amélioration.

13. Sera-t-il possible selon vous d’obtenir dans un futur proches des jantes carbone pour pneus aussi légères que celles pour boyaux ?
Nous avons encore du potentiel d’allégement de nos jantes à pneu en utilisant des matériaux toujours plus performants mais ces nouveaux matériaux offrent le même potentiel d’allégement aux jantes boyaux, l’écart sera donc pour moi toujours important entre les concepts boyaux et pneus car structurellement, le boyau ne sollicite pas la jante alors que la pression interne du pneu sollicite très fortement la structure de la jante et ces sollicitations font que nous devons renforcer la jante comparativement au boyau, engendrant un surpoids inévitable. D’autant qu’un éclatement peut avoir des conséquences dramatiques sur la sécurité du cycliste, pas question pour nous de prendre des risques à ce niveau là.

14. Vos bancs de mesure aéro permettent-ils aussi de mesurer le coefficient de roulement des pneumatiques ? Si oui, observe-t-on un meilleur rendement du pneu ou du boyau ? Pendant longtemps, le boyau a été loué pour son meilleur rendement, mais désormais, beaucoup disent le contraire.
Nous avons des balances de mesures aérodynamiques utilisées en soufflerie et un autre banc très spécifique permettant de mesurer très précisément le coefficient de roulement.
En terme de performance de roulement, les pneus sont, contrairement aux idées reçues, globalement plus performants que les boyaux mais il ne faut pas généraliser. Les meilleurs boyaux atteignent les performances des meilleurs pneus, la performance de roulement est fonction de nombreux paramètres et notamment la composition du caoutchouc, les épaisseurs de gomme ainsi que la largeur du pneu et là plus il est large plus le roulement baisse.
La pression joue aussi un rôle prépondérant dans la performance de roulement. Nous utilisons un banc de mesure spécifique visible dans la vidéo Mavic suivante :


15. En plus des tests en soufflerie, réalisez-vous des tests terrain avec capteur de puissance pour mesurer l’efficacité de vos produits ?
Oui nous réalisons de nombreux tests instrumentés indispensables pour se recaler à la réalité, par contre hormis sur piste nous ne pouvons jamais négliger l’effet du vent naturel aussi minime soit-il.

000006676.jpg
16. Un site comme bikeblather a testé de nombreux pneumatiques et vos pneus Powerlink semblent en retrait en termes de rendement face à la concurrence ? Des évolutions sont-elles prévues ?
Je suis assez surpris des chiffres publiés sur ce site, j’aimerai en savoir plus sur le protocole de test réalisé car le classement réalisé montre de nombreuses incohérences par rapport à nos mesures internes y compris pour certains produits concurrents de référence.
Honnêtement, d’après nos mesures, notre pneu powerlink CXR a un coefficient de roulement de 0,0029 qui le place a un niveau tout à fait honorable dans sa catégorie.

17. Vous avez beaucoup investit ces dernières années pour développer des pneumatiques spécifiques pour vos jantes. Est-ce que le partenariat Mavic – Hutchinson va vous éviter de coûteux frais de recherche, en profitant de l’expérience d’Hutchinson ?
Hutchinson est une marque historique dans le pneumatique de vélo et dispose d’une solide expérience dans le développement et l’industrialisation des pneumatiques. Chez Mavic, nous sommes des spécialistes de la jante et de la roue et avons investi de gros moyens de recherche dans le domaine du pneumatique pour tenter d’améliorer le système roue/pneu. Nous arrivons avec un regard neuf et différent en nous donnant le droit d’agir sur tous les composants du système, y compris son interface.

000014479.jpg
18. Est-il prévu chez Mavic de retravailler sur une transmission électronique vu le succès rencontré par Shimano et Campagnolo ?
L’avenir de la transmission haut de gamme est pour moi clairement dans l’électronique. J’ai conçu le premier dérailleur électronique en 1992 mais nous n’avions pas pris le temps ni sans doute mis les moyens à l’époque pour mettre au point ce produit formidable qui avait été encensé par de nombreux coureurs comme Tony Rominger qui terminait 2° du Tour en 1993.
Mavic a donc bien marqué l’histoire du cycle dans ce domaine mais la stratégie de Mavic est clairement de se focaliser sur notre offre roue/pneu et de l’ouvrir à l’équipement du cycliste. Il serait suicidaire de vouloir se disperser dans la transmission aujourd’hui, même si ce produit me passionne toujours autant. A ce jour, Mavic a choisi de concentrer ses ressources sur le développement des systèmes roue-pneu et de l’équipement du cycliste de la tête aux pieds.

19. Un peu plus éloigné des vélos de course (encore que), parlons des Vélos à Assistance Electrique. N’y aurait-il pas moyen, selon vous, d’adapter un système de récupération d’énergie tel que le KERS en Formule 1 sur les VAE ? Cela permettrait sans doute de gagner en autonomie !
C’est probablement réalisable et l’intérêt serait important en usage urbain, mais ce système doit être développé et être suffisamment économique pour être intégré sur les VAE.

20. Comment voyez-vous le vélo (du côté physique et technique) dans 10 ans ?
La compétition cycliste qui était un sport enraciné en Europe est en train de migrer partout dans le monde. La France a la chance d’avoir des épreuves mythiques comme le Tour de France ou Paris-Roubaix (pour ne citer qu’elles).

L’usage du vélo se développe fortement en ville, du coup de nombreuses personnes découvrent et prennent goût à sa pratique. Je pense donc que la pratique cyclosport, VTT et cyclotourisme va encore se développer car c’est un sport non-traumatisant qui convient à tout âge (la population vieillit) et permet d’augmenter significativement son espérance de vie tout en prenant beaucoup de plaisir.

21. Quelle idée non mise en production regrettez-vous d’avoir laissé dans les cartons ?
Un système de transmission progressif piloté électroniquement…

22. Votre plus grande fierté ?
Sur le plan inventif, probablement le dérailleur électrique. Sur le plan du succès commercial, probablement les roues Ksyrium et Crossmax, ou peut-être une invention qui n’est pas encore sur le marché… ?

Crédit photos : Mavic hormis les deux premières photos, réalisées par Guillaume ROBERT