Des sensations de rapidité certaines

Pour tester plusieurs vélos tous les ans, de modèles aéro à des modèles typés ascensions, au niveau des sensations de vitesse, il y a clairement une différence entre certains vélos, notamment pour la facilité de garder une vitesse de 40km/h sur un terrain plat.

Idem en descente, où un vélo non aéro aura tendance à "buter" à 55/60km/h là où un modèle aéro continuera à prendre de la vitesse.J'ai par exemple pu le constater entre un S-Works Tarmac SL 7 et un Aethos, le premier semblant ne jamais vraiment s'arrêter de prendre de la vitesse.

Certains vélos donnent clairement un avantage, mais cela se fait plutôt au-delà de 35km/h. Sauf que nous ne roulons pas tous à 35km/h de moyenne. Pour les coureurs professionnels, oui, c'est un avantage indéniable, mais pour nous, cyclistes lambdas ? Et à 26/30 km/h de moyenne, pas dit que les différences réelles soient si importantes que ça.

Est-ce pour autant que les constructeurs mentent sur leurs chiffres ? Non, ce n'est pas parce-que les chiffres ne sont pas vérifiés qu'ils sont erronés. Mais alors, pourquoi, moi testeur de vélos, je ne vérifie pas ces données ?

Un protocole pointu pour vérifier les chiffres

Dans l'absolu, tout est possible, mais cela demande tout de même d'avoir un protocole d'essai hyper strict. On ne peut arguer qu'un vélo est plus rapide qu'un autre simplement en mesurant son temps sur une boucle de circuit. Ce ne serait pas correct scientifiquement. On ne connait pas la puissance développée sur ledit circuit, le dénivelé (dans une bosse, un vélo léger sera avantagé), le vent, ...

Et puis sur une boucle d'au moins 30mn, on change forcément de position. Est-ce que l'on est resté plus longtemps mains en bas avec le vélo X qu'avec le vélo Y ? Quand on sait la prépondérance de la position du cycliste sur sa machine en termes de pénétration dans l'air, ce n'est pas anodin.

Et en faisant une boucle à une puissance donnée ?

Là encore, même si ce serait plus précis, ce ne serait pas précis. Bien trop de paramètres rentrant en compte pourraient fausser les résultats :

  • précision du capteur de puissance
  • position du cycliste
  • température
  • taux d'humidité
  • vent
  • tenue

Autant de biais qui pourraient faire gagner ou perdre 1 ou 2 watts. Et quand les constructeurs avancent des gains de 4, 5 ou 6 watts, on voit que la moindre erreur peut rapidement dépasser le gain annoncé du vélo. Rien que la position du cycliste peut faire perdre plus de 10 watts. Sa tenue peut aussi faire perdre 4/5 watts !

Un capteur de puissance peut être précis à +/- 1% en théorie, s'il est parfaitement calibré. A 300 watts, on peut donc déjà avoir 3 watts en plus ou en moins de marge, soit un delta de 6 watts.

On pourrait aussi imaginer un protocole sur un segment de route de 1km environ, totalement abrité du vent (ce qui n'est pas gagné), que l'on transforme en segment Strava et que l'on effectuerai 5 ou 6 fois avec chaque vélo pour avoir plusieurs mesures pour en faire une moyenne. Mais là encore, cela s'avère relativement imprécis.

Et sur une piste couverte ?

C'est une éventualité que j'avais creusée à un moment.... mais d'une, les pistes couvertes ne sont pas légion. Le plus proche pour moi, Bordeaux. Et il faudrait arriver à louer la piste en ayant tous les vélos à tester à disposition le même jour pour se retrouver dans les mêmes conditions de température et d'humidité. Pas simple.

Et sur une piste couverte, pas de dénivelé, pas de vent...

Mais même dans ce cas, on retombe sur les erreurs liées au capteur de puissance imprécis, la position du cycliste et bien d'autres paramètres. Une imprécision qui peut dépasser les gains affichés par les constructeurs. Il faudrait multiplier les essais et donc les mesures pour faire une moyenne qui lisserait les imprécisions des mesures.

Seul salut, la soufflerie

C'est bien là le seul moyen de vérifier l'aérodynamisme d'un vélo, la soufflerie. Les simulations informatiques de constructeurs donnent déjà une excellente précision dans l'absolu, mais seule le test réel dans une soufflerie permet de comparer des vélos entre eux et d'avoir des données reproductibles.

Certains argueront que ces essais sont bien souvent réalisés sans cycliste dessus. C'est de moins en moins vrai, certains spécialistes utilisant désormais au moins des jambes pour simuler les turbulences engendrées par le pédalage.

Mais avoir un mannequin, est-ce plus réaliste ? Pas sûr. Oui, la majorité de la résistance aéro est celle du cycliste, pas celle du vélo. Mais la position du cycliste sur sa machine influençant grandement les données, la seule façon d'avoir les vrais chiffres des performances d'un vélo afin de pouvoir les comparer avec d'autres vélos, c'est bien de faire l'essai en soufflerie du vélo, au mieux avec des jambes en mouvement car il y a peu de différences de position des jambes d'un cycliste à un autre.

A ce petit jeu, seul un média fait référence en Europe (et sans doute sur la planète), c'est le magazine allemand Tour, qui réalise des essais en soufflerie de pas mal de vélos... même si la situation financière actuelle du magazine avec des ventes en baisse, devrait impacter le nombre de tests. Vous pouvez retrouver un résumé détaillé des vélos aéro 2021 sur le site d'Alban.

En conclusion

Vous l'aurez compris, il est impossible d'avancer que tel vélo est plus rapide qu'un autre sans un protocole hyper strict. Déjà, sans capteur de puissance et les données publiées, ça ne rime à rien, mais sur une route soumise aux conditions météo, impossible d'avoir des chiffres justes. Ou alors, autant balancer n'importe quel vélo au hasard, le résultat sera sans doute le même.

La seule méthode réaliste, la soufflerie. Mais il faut en avoir les moyens financiers, ce qui n'est pas le cas de Matos Vélo (et de la plupart des médias français voire européens). C'est la seule méthode qui permette d'avoir des données précises et comparables.

Sans cela, il faut faire confiance aux chiffres annoncés par les constructeurs, que ce soit pour un vélo, des roues, un casque ou une tenue, tout en gardant en tête que chaque marque a son protocole et qu'il reste difficile de comparer les chiffres donnés par les constructeurs entre eux. Raison pour laquelle je publie ces chiffres lors de la présentation des vélos, mais je ne fais jamais mention d'un vélo X% plus rapide que la génération précédente ou qu'un autre vélo dans mes essais.