Un gain de 24 à 33 watts

Sur la photo de Chris Froome (ci-dessus) et celle de Geraint Thomas (à gauche), on voit nettement les Vortex appliqués sur les épaules.

Ces protubérances ont le même rôle que les fameuses dépressions type balle de golf des roues Zipp, à savoir limiter les turbulences aérodynamiques. Dans une étude de 2016 nommée "The use of vortex generators to reduce the aerodynamic drag of athletic apparel" de Len Brownlie,Yuki Aihara, Jorge Carbo, Jr., Edward Harber, Ryan Henry, Irena Ilchevab et Peter Ostafichuk, les scientifiques arrivent à la conclusion que ces Vortex apportent des gains allant de 3 à 7% environ.

Fred Grappe a réalisé une modélisation des gains potentiels sur le chrono de Düsseldorf :

Avec une diminution du SCx de 5% avec les bandes de vortex de chaque côté des bras, le gain de puissance est de 24W soit un gain de temps de 18 secondes sur le chrono de Düsseldorf.

Avec une diminution du SCx de 7%, le gain de puissance est de 33W soit un gain de temps de 25 secondes.

Bert Blocken, professeur d'aérodynamique à l'université de technologie d'Eindhoven (Pays-Bas) qui avait déjà mis en lumière l'influence des véhicules suiveurs sur le cycliste, indique que les estimations de Fred Grappe sont bonnes.

Notons que Fabio Baldato, directeur sportif de BMC, était lui aussi étonné que ces tenues aient été autorisées.

Ce que dit le règlement

L'article 1.3.033 du règlement UCI (voir page 46) indique :

Tout équipement vestimentaire susceptible d’influencer la performance du coureur est prohibé. Il est notamment interdit de porter des éléments vestimentaires non essentiels pouvant diminuer la résistance de pénétration dans l’air ou à modifier la physionomie du coureur (compression, étirement, soutien). • Des vêtements ou survêtements peuvent être considérés comme des équipements vestimentaires essentiels et justifiés dans la mesure où les conditions atmosphériques le justifient pour la sécurité ou la santé du coureur. L’appréciation de la justification de vêtements ou survêtements complémentaires appartient exclusivement aux commissaires. • Le port de couvre-chaussures lors des épreuves sur piste couverte est interdit. Les équipements (casques, chaussures, maillots, cuissards, etc.) portés par le coureur ne peuvent pas être détournés de leurs usages vestimentaires ou sécuritaires par l’ajout de systèmes mécaniques ou électroniques qui n’auraient pas été approuvés comme nouveautés techniques selon l’article 1.3.004.

Comme tout ceci n'est pas ultra limpide, l'UCI précise :

L’équipement vestimentaire ne peut pas être adapté pour le détourner de son usage purement vestimentaire et il est interdit d’y ajouter tout élément ou dispositif non essentiel. Il est entre autre interdit d’introduire des systèmes mécaniques ou électroniques dans l’équipement vestimentaire.

Il est interdit de porter des vêtements ou des combinaisons moulantes auxquels ont été ajoutés des éléments non essentielles destinés à améliorer les propriétés aérodynamiques, comme par exemple des ailettes sous les bras ou un prolongement entre le casque et le maillot ou la combinaison. Les vêtements doivent impérativement suivre le contour du corps du cycliste.

A partir du 1er octobre 2012, l’utilisation des couvre-chaussures est interdite sur la piste lors des épreuves en vélodrome couvert, car leur ajout est purement aérodynamique et n’apporte aucun avantage pour la sécurité ou la santé du coureur.

Toutes chaussures rendues plus aérodynamiques par l’ajout d’un élément non-essentiel ou par une modification, à la pointe ou au talon, sont interdites en compétition. Aucune partie de la chaussure ne peut dépasser la hauteur de la cheville.

Les chaussettes et les couvre-chaussures utilisées en compétition ne doivent pas dépasser la mi-jambe. Les socquettes sont également autorisées, au contraire des chaussettes longues.

Selon moi, la tenue de l'équipe SKY équipée de vortex est pourtant clairement un élément vestimentaire non essentiels pouvant diminuer la résistance de pénétration dans l’air.

Le flou juridique du règlement UCI sujet à interprétations

Nicolas Portal, directeur sportif du Team Sky, assure que le règlement a été respecté.

Nous n'enfreignons pas le règlement car le Vortex n'est pas ajouté au maillot, il est intégré, ce qui est différent.

Philippe Marien, président du jury des commissaires, a quant à lui indiqué que "sur la base du règlement, je ne disposais pas de certitudes juridiques pour interdire cet équipement».

C'est bien là qu'il subsiste un problème. Le Team Sky semble avoir joué sur le fil du rasoir en interprétant le règlement, et aucun commissaire UCI ne semble avoir trouvé à redire sur le sujet. Le problème, ce n'est pas l'équipe Sky, mais plutôt le côté "imbitable" du règlement UCI. Plus c'est compliqué, plus c'est sujet à interprétation.

Le problème existe déjà à chaque contre la montre. Un vélo de chrono qui passe le contrôle de position UCI sur une épreuve, peut être refusé sur une autre épreuve, même sans aucune modification. Les mécanos s'en plaignent régulièrement et vont donc très tôt au contrôle UCI pour faire vérifier les vélos des coureurs.

L'UCI a tout intérêt à se pencher sur la question avant le prochain contre-la-montre de Marseille du 22 juillet prochain. Mais difficile d'imaginer un changement de règlement en cours d'épreuve. Deux options :

  • soit l'UCI maintient sa position et le Team Sky conserve son avantage... mais les autres équipes auront-elles le temps d'avoir des tenues identiques pour le 22 juillet ? Dans ce cas, quid de l'équité sportive ?
  • soit l'UCI interdit ces vortex, mais que faire des résultats de ce premier chrono ? On annule tout ? On exclut les coureurs ou on leur donne une pénalité chronométrique ? Difficile à imaginer, puisque les résultats de l'étape ont été validés.

Ce débat n'est pas sans rappeler celui de 1989 lorsque Greg LeMond avait été le premier à utiliser un guidon de triathlète lors des chronos. Il avait gagné le Tour pour 8 secondes et le guidon fait partie depuis du paysage cycliste.

Mais je préfère de loin ces polémiques sur une probable interprétation de règlement où certains jouent à la limite, que des polémiques sur du dopage !

Crédits photos : Team Sky / Tim DeWaele / Jeff Pachoud / Yzuru Sunada