Les moteurs existent et produisent de la chaleur

Aucun doute là-dessus, on le sait depuis quelques années, les moteurs existent et peuvent s'intégrer dans un cadre sans trop de difficultés. Reste que les systèmes sont en général assez lourds et bruyants.

Ces moteurs produisent de la chaleur, phénomène physique connu. C'est ainsi que les journalistes de Stade 2 ont décidé d'utiliser une caméra thermique pour tenter de mettre en évidence la présence d'un moteur. Pas bête.

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-2.jpg

Sur cette image prise sur un vélo équipé d'un moteur, clairement, on voit bien le moteur. L'idée semble donc plutôt bonne. Le moteur et les mollets du cycliste ressortent très nettement en rouge/jaune, le jaune représentant environ une température de 21°C selon l'échelle de la caméra.

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-3.jpg

Des preuves nettement moins flagrantes sur Strade Bianche

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-4.jpg

Les journalistes décident de se placer sur le bord de la route pour utiliser leur caméra thermique chez les pros lors de Strade Bianche.

Première "image louche" selon eux, ce moyeu "rougit anormalement" qui prouverait la présence d'un petit moteur dans le moyeu arrière. Déjà, je suis plus sceptique sur l'existence d'un si petit moteur assez efficace pour qu'un pro prenne le risque de l'utiliser.

Qui plus est, quid des connectiques entre une batterie et un micro-moteur dans un moyeu ? Comment faire pour que ces connectiques puissent fonctionner avec un blocage rapide et en cas de changement de roue ?

Mais si on pousse un peu plus loin dans le détail, on remarque que le moyeu est tout juste rouge (vu d'une caméra thermique) alors que sur le vélo "témoin" ci-dessus, le moteur était carrément jaune.

Un moyeu qui semblerait tout juste à la même température que les boyaux ! L'échelle de température va de 8.9 à 25.7°C et le rouge se trouve au bas de l'échelle, 15° voire moins. Bref, c'est loin d'être flagrant.

Un protocole d'utilisation de la caméra thermique plutôt limite

Réaliser des images en thermographie infrarouge ne s'improvise pas, ce n’est pas aussi simple qu’il n’y parait et pour avoir des résultats probants, il faut prendre certaines précautions. Pour des images en extérieur, il faut éviter de le faire en plein jour, car une caméra thermique infrarouge ne mesure pas seulement la température émise par l’objet au centre du champ de vision, elle mesure :
* le rayonnement issu de la température de l’objet ;
* le rayonnement du soleil que l’objet peut refléter ;
* le rayonnement diffus de l’atmosphère.

Or, une surface en carbone noire ne reflétera pas du tout de la même façon le rayonnement du soleil qu'une surface en alu polie.

Stefano Varjas, le spécialiste hongrois

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-6.jpg

Le journaliste de Stade 2 est allé à la rencontre de Stefano Varjas, à Budapest, qui semble être l'inventeur du premier moteur électrique adapté à un vélo de compétition.

Il exhibe (photo de gauche) un petit moteur de tout juste 2cm x 5cm qui serait capable de développer 250W de puissance, et ce, avec une batterie à peine plus grosse (le rectangle violet sur la photo) que ce qui est présent dans un smartphone. Impossible selon moi de sortir 250W avec une telle batterie, à part sur 0.5s.

Ou sinon, nos smartphones devraient pouvoir avoir une autonomie de 2 semaines à l'aise et la voiture électrique pourrait sans sourciller atteindre les 1000km d'autonomie. Bien sûr, ce dernier met en avant une technologie militaire avant-gardiste à laquelle lui seul aurait accès.

Ensuite, démonstration avec un vélo Eddy Merckx qui serait équipé de ce moteur.
Le journaliste tente d'arrêter le pédalier qui tourne seul et n'y arrive pas. Forcément, difficile d'arrêter un pédalier muni d'un moteur de 250W à la main. Sauf que l'on voit sur ce vélo un bidon sur le tube vertical, bidon qui contient sans doute une batterie nettement plus grosse que celle présentée ci-dessus. On n'est plus dans le même ordre de miniaturisation.

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-7.jpg

Des vidéos en appui qui ne prouvent rien

Hesjedals-Vuelta-2014-crash-moteur.jpg

Pour appuyer la possible utilisation de moteurs sur les vélos dans le peloton pro, Stade 2 reprend quelques vidéos qui ont déjà largement fait débat.

  • La roue d'Hesjedal qui tourne toute seule. La phénomène a été reproduit par des amateurs pour montrer que c'était normal.
  • La chute en CLM avec la roue qui continue à tourner, c'est le même phénomène, purement physique.
  • Le changement de vélo de Movistar avec le DS qui demande de cacher le vélo. L'explication est ici.

Bref, si on ne cherche pas, en effet, on peut y voir l'utilisation de moteurs. Mais en cherchant un peu, on trouve des explications rationnelles pouvant éliminer l'utilisation de tels subterfuges.

Plus récemment, une vidéo suite à l'arrivée d'Adrien Costa au Tour de Bretagne a fait le buzz parmi les sites et pages Facebook en mal de sensations. Certains voyant dans cette vidéo un comportement suspect de son vélo quand il le pose à terre.

A croire que ceux qui partagent cette vidéo en émettant des doutes n'ont soit jamais fait de vélo, soit veulent faire le buzz, soit veulent nuire au cyclisme !

Fort heureusement, l'ex coureur professionnel Jimmy Engoulvent démontre sur Twitter le phénomène, tout à fait normal, avec le BMX de son fils !

A ce rythme, toute roue qui tourne sur un vélo va finir par être suspecte.

Le fantasme de la roue électromagnétique

Moteurs-ca-tourne-cyclisme-Stade-2-11.jpg

J'avais dans mon article "La roue électromagnétique possible en théorie, bien moins en pratique" démontré que c'était loin d'être facile à mettre en oeuvre et loin d'être indétectable, le journal l'Equipe arrivant aux mêmes conclusions.

Et voilà que notre spécialiste hongrois Stefano Varjas nous montre une roue électro-magnétique. Enfin, pour être plus précis, une roue carbone avec des trous dans la paroi en nous indiquant que c'est très simple à faire, que ça coûte entre 50000 et 200000€ (du simple au quadruple, mais on n'est plus à 50000€ près), mais jamais durant le reportage, ce dernier ne montrera une roue de ce type fonctionnelle.

Normal, dans la pratique, une telle roue nécessite de nombreux investissements avec des aimants de haute qualité (et un poids conséquents) ainsi qu'un cadre largement retravaillé. Donc, n'importe qui aurait pu montrer une roue carbone avec des découpes latérales....

Cet ingénieur hongrois serait donc, au fin fond de son atelier, meilleur qu'un Jean-Pierre Mercat qui travaille chez Mavic et auteur de nombreux brevets !? Pourquoi ne pas être allé interviewer ce dernier sur la réelle possibilité d'une roue de ce type ?

Même si un artisan pourrait retravailler une roue dans son coin, l'utilisation d'une telle roue impliquerait d'énormes modifications au niveau du cadre. Donc, soit la connivence du fournisseur de cadre (mais quelle marque prendrait ce risque ???), mais surtout, il faudrait que les mécanos et tout le staff susceptible de voir ce système n'ébruite pas cela.

Cette roue reste pour le moment de la pure fiction que personne n'a vu en fonctionnement.

L'avis de Jean-Pierre Mercat sur le côté technique

Jean-Pierre-Mercat-ADS-001.jpg
 

Responsable de recherche chez Mavic, on peut dire que Jean-Pierre Mercat en connaît un rayon sur les roues, mais plus généralement, sur tout ce qui touche de près ou de loin au vélo.

Je l'avais d'ailleurs interviewé en 2014. Je l'ai donc interrogé plus précisément sur cette fameuse "roue électromagnétique".

1. Comment fonctionnent les roues "électromagnétiques" ?

Le système fonctionne comme un moteur ayant un très gros rotor avec de nombreux pôles, on peut faire l’analogie avec un moteur linéaire.

2. Tout le mécanisme peut-il simplement être intégré dans la jante ou nécessite-t-il d'autres éléments extérieurs ?

La jante de la roue comporte une alternance d’aimants (performants en Terre Rare) ayant des polarités (Nord-Sud-Nord-Sud..) alternées sur toute la périphérie de la jante, cachés dans la jante en carbone. Mais le cadre doit aussi comporter une ou plusieurs bobines et un circuit magnétique en forme de fer à cheval. Lorsque l’on va faire passer un courant dans la bobine, un champ électromagnétique va être induit et va exercer une force magnétique sur les aimants rentrants et sortants. Ce courant devra avoir une allure sensiblement sinusoïdale dont la fréquence sera adaptée à la vitesse de rotation de la roue. Lorsqu’un pôle nord a terminé sa course d’attraction, il faut alors inverser le courant pour attirer de nouveau un pôle sud et ainsi de suite. Ce type de moteur a le gros avantage de ne pas avoir de collecteurs tournants (balais ou charbons) ce qui le rend très silencieux et réduisant ainsi l’usure et les frottements mécaniques.

L’inconvénient de ce type de construction c’est que la cadre ne comporte qu’une ou deux bobines d’induction alors que sur un moteur traditionnel le stator comporte une multitude de bobine sur toute la périphérie rendant tous les aimants actifs en permanence et non pas seulement au passage de l’aimant, ce type de moteur risque donc d’être nettement plus lourd à puissance égale comparativement à un moteur traditionnel.

L’autre alternative est d’avoir des aimants fixes sur le cadre et plusieurs bobines dans la roue. Les bobines devront être excitées tour à tour lors de leur passage devant les aimants. L’inconvénient de cette solution est que la puissance électrique doit être fournie à la roue tournante par le biais d’un collecteur tournant ou en disposant les batteries dans la roue tournant avec elles.

Tout ceci est tout à fait intégrable dans une jante en carbone, pas évident par contre de concevoir un moteur puissant et léger même en utilisant les meilleurs aimants en terre rare car il en faut une multitude tout autour de la jante...

3. Peut-on équiper de ce système une roue comme celles qui sont utilisées par les pros ?

L’inconvénient de ces différentes solutions, c’est que l’on doit rajouter de la masse en périphérie de la jante, changeant ainsi son moment d’inertie et donc la stabilité (effet gyroscopique induit par la roue), le vélo doit perdre en maniabilité et la mesure d’inertie doit permettre assez facilement de déceler ce type de roues motorisée.

Ce type de roue peut être utilisé en générateur pour recharger la batterie lors de phases de freinage, il suffit pour cela de récupérer le courant alternatif induit par le passage des aimants en inversant le processus détaillé ci-dessus.

Ce type de moteur fonctionne suivant le même principe que les moteurs linéaires qui sont utilisés sur les dernières machines-outils performantes ou qui seront utilisées sur le futur TGV japonais.

Une roue équipée de nombreux aimants seront probablement détectables avec un simple aimant !

De plus, il faut une batterie à intégrer dans le cadre dont la masse sera proportionnelle à son énergie, à moins que cette batterie soit dissimulée dans un faux-bidon de ravitaillement permettant de renouveler son autonomie à chaque changement de bidon et non détectable en son absence.

Moteurs ou roue électromagnétique, impossible chez les pros

Mecaniciens-equipe-cycliste-pro-002.jpg

La condition sine qua non pour qu'un dopage technologique dans une équipe soit possible, ce serait l'adhésion de toute une équipe (coureurs et staff) à ce système.

Tous les mécaniciens sont amenés à manipuler les vélos. Tôt ou tard, devoir recharger la batterie d'un moteur caché dans le vélo se verrait. Soit par un mécano, soit par un autre coureur ou le staff (médecin, diététiciens, ...). Comment alors s'assurer du silence de tout le monde ? Impossible.

Et même si une équipe arrivait à obtenir le silence de tout le staff par le plus grand des miracles, reste que les vélos sont accessibles facilement par les journalistes, spécialistes web du matériel vélo (suivez mon regard) ou même les spectateurs, avant ou après la course. Il y aurait toujours un moment où quelqu'un d'extérieur à l'équipe verrait quelque-chose et pourrait même le photographier, que ce soit avec un appareil professionnel ou juste un smartphone.

Autant le dopage physiologique pouvait se faire à l'insu de la plupart des membres d'une équipe et à l'abri du public (dans une chambre d'hôtel), autant le dopage mécanique nécessite une toute autre logistique pour que cela reste longtemps sous silence.

Mecaniciens-equipe-cycliste-pro-001.jpg
 

Journalistes à sensations et sites "moutons"

Il est certain que le doute subsiste sur la potentielle utilisation de tels "dopants mécaniques" dans le peloton. Mais le sujet est sérieux, et cela mérite une enquête sérieuse.

J'estime que celle-ci n'a pas été assez poussée. Cela contentera seulement ceux qui veulent se persuader que le dopage sévit encore à outrance dans le cyclisme et ceux qui n'ont aucun esprit critique et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.

On ne peut sérieusement se baser sur cette enquête qui ne montre au final rien et qui prouve juste ce que l'on savait, que les moteurs dans les vélos existent.

Problème, d'autres sites d'informations reprennent cette enquête sans questionnement sur la méthode, cela fait donc boule de neige.

Il est malheureux, une fois de plus, qu'il n'y ait quasiment aucun esprit critique, qu'on ne cherche pas plus loin. Je ne cherche ni à défendre à tout prix le cyclisme, ni a me voiler la face en certifiant que le dopage (physiologique et mécanique) ait disparu du peloton. Mais il faudrait réellement aller plus loin dans la recherche de preuves. Dommage, car je suppose que Stade 2 en a les moyens financiers.

Là, ça ressemble plus à un reportage à charge qui n'a qu'un seul but, faire du sensationnel et le buzz sur Internet.

L'UCI au courant depuis 2010 ?

Mais selon l'agent Vincent Wathelet (agent de coureurs comme Philippe Gilbert ou Arnaud Démare), l'UCI est au courant de l'existence des moteurs dans le peloton depuis 2010. Cet agent aurait des preuves que des coureurs ont utilisé des moteurs.

Wahoo-KickR-001.jpg
 

Je veux bien le croire, mais quand dans son interview il indique ceci, je ne peux m'empêcher de remettre en cause le reste de son discours :

Lors du dernier Tour de France, j’étais scandalisé de m’apercevoir que certaines équipes, et non des moindres, enlevaient les roues à peine la ligne franchies et ensuite, sur les home-trainers, ils utilisaient les vélos sans les roues. C’est assez incompréhensible pour moi.

A croire qu'il découvre les home-trainers de type Wahoo Kickr ou Lemond Revolution.

Vivement une véritable enquête

Roue-electromagnetique-004.jpg

Alors oui, les moteurs dans les vélos existent. Mais sont-ils encore utilisés dans le peloton pro (s'ils l'ont réellement été !), j'en doute vu les contrôles organisés par l'UCI ( qui précise avoir contrôlé en avril 216 vélos lors du Tour des Flandres et 224 vélos lors de Paris-Roubaix).

Quant à la roue électromagnétique, pourquoi ce Stefano Varjas n'a pas montré un véritable exemplaire, fonctionnel ? Sans doute parce-que pour lui, ça reste encore pour le moment de la science-fiction mais un excellent moyen de faire le buzz et de se faire de la publicité.

La roue électro-magnétique n'est pas un mythe, mais sa mise en oeuvre, comme je l'avais démontré ici, est nettement plus ardue et il est à l'heure actuelle impossible de faire un système totalement invisible.

Cette enquête, bien qu'elle ait le mérite d'exister, est loin d'être complète. La caméra infra-rouge ne fait que des suppositions, mais on l'a vu, son utilisation comporte bien des biais qui mettent à mal la précision.

Mais cela a l'avantage de donner quelques pistes pour améliorer les contrôles menés par l'UCI.

Un reportage qui écorne une fois de plus le cyclisme pour pas grand chose et qui fera croire à ceux qui ne font aucune analyse des images (et qui n'ont aucun esprit critique) que les moteurs sont courants dans le cyclisme.