1. Depuis l’an dernier, tu es un des 4 entraîneurs (avec Fred Grappe, Julien Pinot et David Han) au sein de l’équipe FDJ dont tu as fait partie de 2006 à 2009. Quels changements as-tu constatés depuis ?

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Le plus gros changement, c’est qu’il y a maintenant un Directeur de la Performance (Fred Grappe) et trois entraîneurs (Julien Pinot, David Han et moi) au sein de l’équipe. Quand j’étais coureur au sein de l’équipe (de 2006 à 2009), il n’y avait que deux entraîneurs, Fred Grappe (entraînements et le côté scientifique avec les tests) et Jacques Decrion (qui entrainait et se déplaçait chez les coureurs pour les séances de scooter).

L’arrivée de Julien Pinot au sein de l’équipe, mais aussi l’arrivée de Thibault au plus haut niveau, ont changé pas mal de choses. La FDJ a évolué dans sa façon de courir avec la montée en puissance de Thibault, mais aussi dans sa façon de préparer les échéances avec l’arrivée de Julien. Depuis 3 ans environ, il y a une grosse préparation qui se fait en amont au niveau des parcours (comme dans toutes les équipes concurrentes).

Concernant la façon de courir, il y a eu une évolution naturelle avec tout qui est organisé autour d’un leader alors qu’à mon époque, il y avait plusieurs leaders (Casar ou Gilbert pour ne citer qu’eux) et chaque coureur avait un peu plus de liberté. On ne courait pas autant autour d’un seul homme comme cela se fait maintenant.

On est de plus en plus dans le détail, que ce soit sur les stages, les courses…

Ça, c’est pour le côté entraînement, mais du côté de la Recherche & Développement, l’évolution est énorme, en partie grâce à Fred Grappe qui a poussé vers cela. Cela fait plus de 10 ans que la FDJ travaille avec Lapierre, ce qui induit une véritable collaboration avec l’équipe. Par exemple, les derniers vélos sortis chez Lapierre, Xelius SL ou Aerostorm RDS, sont issus de cette collaboration.

Encore plus qu’une collaboration, on pourrait parler de véritable symbiose entre de nombreuses personnes. Staff de l’équipe, ingénieurs Lapierre (notamment Rémi Gribaudo), mais aussi des ingénieurs extérieurs spécialisés dans le carbone ou l’aérodynamique, et les mécanos, qui quand ils reçoivent les premiers prototypes, ont leur mot à dire sur de possibles améliorations pour la maintenance ou tout ce qui concerne l’aspect mécanique.

2. Tu as une autre casquette au sein de l’équipe, celle d’évaluation et test du matériel. Peux-tu nous en dire plus sur cet aspect de ton métier, en quoi cela consiste ?

Ma fonction est entraîneur et testeur. Pour bien comprendre, il y a Fred Grappe qui est directeur de la performance, et en dessous, les 3 entraîneurs avec chacun leurs spécificités :

  • Julien Pinot, entraîneur et spécialisé en ingénierie (c’est lui qui fait la synthèse entre les ingénieurs de nos partenaires et le staff de l’équipe)
  • David Han qui est entraîneur et en charge de tout ce qui est vidéo et de la nouvelle plateforme qui nous permet de gérer les entraînements et le suivi des coureurs (c’est le Service Course virtuelle).
  • Moi, qui suis entraîneur et testeur de matériel.

Nous avons donc chacun nos spécialités. A la fois, nous essayons de travailler de la même façon pour tout ce qui touche à l’entraînement, avec les mêmes méthodes et vraiment en collaboration et avec beaucoup d’échanges.

Dès que l’un d’entre nous a une info, il la partage aux autres. C’est vraiment ce que je trouve intéressant au sein de l’équipe FDJ, cette collaboration, ce partage d’idées, qui n’est vraiment pas présent dans toutes les équipes.

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Me concernant, avec mon passé de coureur cycliste et ayant toujours été à la pointe de ce qui touche au matériel (j’ai toujours été très intéressé par ça) naturellement, Fred Grappe m’a proposé ce rôle de testeur et il a commencé à mon arrivée à l’automne 2014 avec les premiers tests de Xelius SL.

On a eu un process avec 6 prototypes qui ont été testés par Thibault Pinot et moi. J’ai commencé à dégrossir le travail en éliminant les protos qui n’allaient pas, puis lors d’une seconde phase, Thibault a fait les essais avec moi, ce qui nous a permis de trouver la meilleure rigidité possible pour ce vélo.

Pour les tests matériels, il y a les essais labos et les essais sur route. Pour le Pulsium par exemple, le vélo dédié aux pavés, il y a eu les essais vibratoires en laboratoire à l’Université de Reims, qui ont été complétés ensuite par des essais sur des pavés pour arriver à trouver le meilleur compromis au niveau de la bague élastomère qui absorbe les déformations entre tube de selle et tube supérieur (technologie SAT - Shock Absorption Technology). Cette année, nous avons encore travaillé sur la rigidité du Pulsium.

Enfin, le dernier vélo sur lequel j’ai travaillé est le modèle de CLM, l’Aerostorm DRS. Au moment où nous avons reçu les premiers protos, nous nous sommes tous rassemblés au Service Course (Rémi, ingénieur Lapierre, Julien Pinot, les mécanos et moi) et nous avons commencé à plancher dessus et faire les premiers tests. Ensuite, nous avons apporté quelques modifications et ce n’est qu’après ce process que les vélos ont été lancés en série.

Cela évite pour la marque de lancer une série qui demanderait des modifs de rigidité ou des micro réglages. On préfère faire toutes ces retouches en amont plutôt que de devoir corriger des problèmes en début de saison. C’est notre rôle de faire ces retouches et améliorations, de sorte que lorsque le vélo a été livré aux coureurs début janvier, il a été livré prêt à rouler. C’est une grande avancée pour nous et ça nous fait gagner beaucoup de temps.

Mais une fois de plus, c’est mon job, et tout ceci n’est possible que s’il y a de la collaboration derrière.

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3. Comment réalises-tu tes tests ? Simplement au ressenti ou est-ce que tu valides aussi grâce à des mesures au capteur de puissance ?

Pour tout ce qui est rigidité, cela se fait surtout au niveau des sensations. Les tests les plus parlants ont été ceux des Xelius SL. J’ai testé les 6 prototypes en aveugle, sans aucune donnée, seul Julien Pinot avait les chiffres de rigidité de chaque modèle. Cela m’a permis de lui faire des retours en étant parfaitement objectif.

Sans ça, on est obligatoirement influencé par les chiffres qui nous sont fournis par la marque.

Ce travail m’oblige à continuer à m’entraîner afin d’avoir des sensations sur ces vélos-là en adéquation avec les puissances fournies par les coureurs professionnels.

A côté de ça, je teste aussi les vêtements pour BTWIN, avec de belles améliorations sur les produits cet hiver, notamment pour la combinaison course et le nouveau maillot manches longues sur lesquels nous avons travaillé sur la respirabilité et la thermorégulation. Je teste également nos casques BBB. Ce sont des échanges perpétuels entre nos partenaires et nous au niveau Recherche & Développement.

Cela a deux avantages. De notre côté, nous avons vraiment ce que nous désirons, et pour les partenaires, ils peuvent s’appuyer sur des gens comme nous qui sommes très pointus, c’est gagnant-gagnant.

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4. A ta connaissance, existe-t-il un testeur matériel tel que toi dans chaque équipe ?

Sincèrement, je n’en ai aucune idée. Je pense que beaucoup d’équipes s’appuient sur certains de leurs coureurs, comme nous le faisions auparavant.

Un des avantages de ne pas être un coureur pour faire cela, c’est que cela permet à nos coureurs de se concentrer exclusivement sur les entraînements et les courses, sachant qu’il y a déjà énormément de déplacements.

Il m’arrive souvent de monter à Besançon chez Fred Grappe pour faire des tests de roulements sur le grand tapis. Si on demandait à un coureur de faire cela, ça lui boufferait un à deux jours d’entraînement. Moi, je n’ai pas de contraintes d’entraînements ou de récupération.

Au niveau timing aussi, on gagne du temps. On a parfois des contraintes spécifiques sur des dates de tests, un coureur pourrait ne pas pouvoir venir, alors que moi, ce sera ma priorité.

5. On a pu voir dans un tweet de Grappe du 5 janvier que tu réalisais un test à l’Université de Besançon avec vélo sur tapis. Que pouvez-vous mesurer sur ce type de test ? Rendement pneu ?

Bien sûr, on fait des tests comparatifs avec du matériel concurrent parfois. Mais ça nous sert aussi à voir les optimisations possibles avec le matériel mis à disposition de nos partenaires.

 

 

 

6. Fred Grappe et Julien Pinot ont un bagage universitaire d’entraîneurs. Quel est ton bagage de ton côté ? Expérience terrain comme coureur ?

Oui, l’expérience terrain comme coureur et j’ai passé mon Brevet d’Etat comme tous les entraîneurs au sein des équipes professionnelles.

A la différence de Fred et Julien, je ne suis pas universitaire, mais j’ai commencé ma formation sur le terrain dès ma collaboration avec Fred Grappe quand j’étais coureur. J’apprends beaucoup, même encore aujourd’hui, à leur contact, je suis en formation permanente, ce qui me permet de progresser et de faire progresser mes coureurs.

7. Pour 2016, les coureurs auront le droit d’utiliser des vélos équipés de freins à disques. Aucun vélo Lapierre n’a été homologué avec freins à disques. As-tu testé quelques modèles ? Ton avis sur la question ?

Nous sommes en cours de tests.

8. Te tiens-tu au courant des dernières nouveautés dans le domaine du matériel ? Si oui, par quel biais ? Magazines, internet, autres équipes ?

Par tous ces moyens. C’est aussi ce qu’a permis l’évolution de l’équipe depuis que j’y suis passé comme coureur. A l’époque, les entraîneurs venaient très peu sur les courses, maintenant, on est de plus en plus présents sur les grandes courses, que ce soit pour le matériel ou pour l’analyse des fichiers.

Le fait d’être plus sur les courses me permet d’aller scruter ce qui se fait chez les autres pour s’en inspirer et faire mieux.

Il y a bien sûr toujours les magazines et mon ami marchand de cycles à Tain l’Hermitage chez qui je vais discuter régulièrement.

Il y a aussi nos mécanos, qui sont toujours à l’affût des nouveautés matériel et avec qui j’échange donc beaucoup. Et enfin, Internet, avec les blogs et Twitter qui me permettent notamment de faire bon nombre de captures d’écran pour ensuite échanger avec Julien et faire avancer les choses.

Au sein de l’équipe, le Département R&D est constitué sept personnes :

  • Fred Grappe, Directeur de la Performance
  • Julien Pinot David Han et moi au niveau des entraîneurs
  • Frédéric Vanoli (Responsable partenaires)
  • Guillaume Bouveret et Arnaud Desoeuvre (mécaniciens)

La collaboration se fait vraiment autour de ces sept personnes-là, plus des intervenants extérieurs spécialisés (structure carbone, aérodynamiciens…) sur certains dossiers bien spécifiques.

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9. On parle encore beaucoup de la fameuse limite UCI des 6.8kg que beaucoup voudraient voir évoluer. Est-ce aussi une volonté de votre côté (staff ou coureurs) et même si on descendait à 6kg, les performances s’en ressentiraient-elles vraiment ?

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Sincèrement, vu qu’il y a une limite, on fait avec, on essaie d’être au plus près. Mais on en parlait encore récemment avec Rémi Gribaudo (Lapierre), les vélos qui sont en-dessous de cette limite à l’heure actuelle, sont souvent montés avec des périphériques exotiques.

On pourrait passer sous la barre des 6.8kg, avec par exemple des roues plus légères, mais on s’est rendus compte lors de nos tests, que ce gain de poids se faisait au détriment du rendement. C’est ce que l’on essaye d’optimiser. Si gagner 100g fait perdre en rendement, mieux vaut rester à 6.9kg. Il ne faut pas être un obsessionnel du poids, même si c’est un paramètre à ne pas négliger.

Mais il y a aussi le problème de la sécurité. Si on descend trop bas en poids, on aura des problèmes de sécurité. Les coureurs cherchent avant tout de la rigidité pour faire face à la puissance développée, et on ne peut pas avoir un cadre ultra rigide et ultra léger à la fois. C’est une question de compromis.

Cette limite des 6.8kg ne nous pose aucun problème à l’heure actuelle. On y est très souvent avec nos vélos et ça nous permet d’avoir des vélos très rigides.

10. Certains coureurs développent plus de puissance d’une jambe. Quel % « normal » est en général admis et en cas de dépassement, comment arrivez-vous à compenser cette asymétrie ?

Plusieurs choses sont à faire. Il faut aller voir des praticiens (ostéopathes, chiropracteurs) pour remettre le corps bien en place. Ça part de là au niveau postural. Ensuite, une bonne position sur le vélo, car une position trop basse ou trop haute va modifier l’axe du bassin et peut augmenter le problème.

Enfin, nous commençons à travailler avec un podologue (Marc Retali). Nous avons mis ça en place avec deux de nos coureurs (Daniel Hoelgaard et Ignatas Konovalovas) et nous avons d’excellents résultats.

 

 

Pour moi, c’est un tout :

  • Une bonne posture
  • Un bon positionnement sur le vélo
  • Une étude au niveau des semelles pour rééquilibrer tout ça

Mais il est courant d’avoir des écarts de force entre jambe gauche et droite. On a tous une jambe plus forte que l’autre. Mais ce déséquilibre à faible puissance tend à se rééquilibrer en zone I3/I4.

Retrouvez Sébastien Joly sur son compte Twitter.

Crédit photos : Nicolas Götz pour la FDJ

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