Présentation

Je ne vais pas trop longtemps revenir sur les détails techniques du vélo que vous pouvez retrouver sur la présentation de ce vélo.

Avec cet Aethos, Specialized prend tout le monde à revers. Avec un discours longtemps axé sur la performance, les gains aéro et divers watts gagnés par ci ou par là, la marque joue la rupture pour ce modèle.

Un vélo simple, épuré, que l'on croirait tout droit sorti du début du 21ème siècle. Tubes ronds, collier de selle, cintre traditionnel, bref, du simple. Le but, faire un vélo très léger, mais surtout plus accessible physiquement à tous les cyclistes, contrairement aux vélos habituellement conçus en collaboration et pour les coureurs professionnels.

Un vélo léger, mais sans pour autant tomber dans l'excès en ayant recours à des composants exotiques et à la sortie, un vélo qui serait uniquement utilisable par des coureurs de moins de 65kg.

Non, Specialized précise que ce vélo est utilisable par des cyclistes allant jusqu'à 125kg. Le modèle le plus léger atteint 5.9kg, toujours en freinage à disques, puisque cet Aethos n'a été développé que pour ce système de freinage.

L'Aethos en version S-Works SRAM Red eTap AXS

J'ai pour cet essai eu droit à un Aethos équipé en SRAM Red e-Tap AXS avec le coloris Satin Flake Silver/Red Gold Chameleon Tint/Brushed Chrome. Un coloris qui tire un peu sur le rose. Cette version S-Works bénéficie de la fibre Fact12R, la plus aboutie utilisée par la marque.

Le groupe SRAM Red e-Tap est connu, il est ici avec un couple de plateaux 48/35 et une cassette 10x33, une combinaison qui devrait être parfaite vu le profil des routes Corse avec mes piètres qualités de grimpeur. A noter que le boîtier de pédalier Press Fit n'est plus de la partie, Specialized opte pour des roulements externes, plus fiables.

Les roues sont les Alpinist CLX, des roues basses (33mm de haut et 21 de large) légères que j'avais déjà pu apprécier sur l'essai du Tarmac SL7 de la même marque. Elles sont montées avec des pneus Turbo Cotton de 26mm. La potence est un modèle S-Works SL en alu et le cintre est un S-Works Short & Shallow avec une forme légèrement ergonomique sur sa partie haute.

La tige de selle, enfin, est la toute nouvelle Roval Alpinist qui ne pèse que 136g et elle est associée à une selle S-Works Power. Certains regretteront le collier de selle traditionnel et le fait que la câblerie ne soit pas totalement intégrée. Mais de mon côté, je n’ai pas trouvé cela choquant. Un collier de selle simple a fait ses preuves depuis des décennies et la câblerie non intégrée ne vous fera pas perdre 2km/h de vitesse moyenne et permet d’utiliser n’importe quel cintre ou potence tout en facilitant la maintenance. Un choix qui me paraît parfaitement cohérent sur un vélo « plaisir », qui ne demandera aucune prise de tête pour son entretien.

Pesé à 6.7kg en taille 54 avec les pédales Assioma (qui pèsent 300g), on arrive donc pour ce modèle à 6.4kg dont 50g pour les porte-bidons S-Works Carbon Rib Cage III.

Alors bien sûr, le prix est très élevé, 11799€ pour cette version. Beaucoup trouvent cela exagéré, à vrai dire, moi aussi. Un côté déraisonnable, mais les vélos se vendent... et quoi qu'on en pense, les groupes montés sur ces vélos ainsi que les autres composants ont un coût certain. Et comme certaines voitures, on peut aussi proposer des vélos haut de gamme pour une clientèle aisée.

Sur la route

En soulevant le vélo, le poids surprend. Vraiment. Pourtant, je suis habitué aux vélos légers proches de la limite UCI, mais là, avec 500g de moins au bas mot, on peut soulever le vélo facilement.

Qui plus est, la répartition des masses est vraiment très bien centrée au niveau de la boîte de pédalier. En prenant le vélo et en le soulevant d'une main à l'aplomb de cette boîte, on trouve un bon équilibre.

Les premiers tours de roues donnent le ton sur cette première sortie du côté du Cap Corse, avec 121km pour 1800m de dénivelé.

Le vélo est très énergique. Dès les plus basses vitesses, il a un comportement très nerveux avec un arrière offrant un côté élastique surprenant, loin des vélos très rigides conçus pour les coureurs professionnels et qui demandent bien souvent de dépasser 300W pour offrir des sensations et avoir l'impression de faire vivre le vélo. Là, le vélo est accessible et même sans forcer, on a l'impression d'avoir un vélo très facile, très énergique. D'ailleurs, il faut le prendre un peu en main, car les premières fois où l'on se met en danseuse, on est déstabilisé par cette légèreté de l'ensemble du vélo mais surtout de l'avant et ce côté "coup de raquette" du triangle arrière. L'avant est très léger, mais pas mou pour autant. Il est possible de sprinter et même à plus de 1000 watts, le vélo reste parfaitement en ligne.

J'avais apprécié le côté assez facile du Tarmac SL7, mais à dire vrai, en essayant cet Aethos, il est nettement plus compatible avec mon niveau physique, cela se ressent dès les premiers kilomètres. Sur cette première sortie, les courtes bosses s'enchainent, ne présentant pas de difficultés particulières. Elles ne sont pas très pentues et assez courtes. Une fois que l'on a compris un peu le comportement du vélo, chaque passage en danseuse est un réel plaisir.

Le confort général du vélo est bon, plus élevé que celui d'un Tarmac SL7, mais n'oublions pas que ce dernier priorise la performance avant toute chose. Le vélo est ici équipé de pneus Turbo Cotton de 26mm gonflés à près de 7 bars.

Aucun bruit parasite n'accompagne le vélo même sur les mauvaises routes et seul le bruit de la chaîne s'enroulant sur les pignons et des pneus sur le bitume se laissent entendre.

La première bonne descente sera celle du moulin Mattei-Morsiglia avec une belle pente, un beau revêtement et des virages serrés, parfois rapides, parfois lents. Le vélo se montre légèrement moins précis que le Tarmac SL7, qui lui a un côté vraiment incisif. Par contre, il ne bouge pas d'un poil malgré le vent grâce aux roues plutôt basses. Mais pas de raccourci hâtif, ce n'est pas un vélo dangereux, on prend tout de même énormément de plaisir. Il n'y a vraiment que sur les courbes serrées et rapides que le vélo se montre légèrement moins précis, peut-être en raison d'une partie avant moins bridée.

A contrario, il se montre peut-être un peu plus tolérant, pardonnant quelques fautes de trajectoires ou des virages attaqués un peu trop rapidement.

La seule difficulté de la journée interviendra en fin de sortie, après plus de 90km au compteur, le Teghime par Patrimonio, 8.2km à 6% de moyenne. Si ce vélo ne m'a pas transformé en grimpeur, j'ai eu le sentiment de mieux pouvoir me caler à mon rythme, sans avoir l'impression d'avoir un vélo trop exigeant pour moi. J'ai pu grimper bon train à 210W de moyenne pendant 38mn en prenant du plaisir à grimper. Le développement de 35x33 permet de grimper avec une bonne cadence de pédalage et le vélo reste suffisamment facile pour ne pas trop ralentir malgré ce faible développement.

Les roues Roval Alpinist y sont sans doute pour quelque-chose, puisque ces dernières sont légères et moins bridées que des Roval Rapid CLX.

Après la descente de ce col, même constat que plus haut, le vélo tient parfaitement le pavé avec un bon confort mais se montre légèrement plus flou dans les virages abordés très rapidement qu'un vélo axé compétition. Sans doute parce-que la douille de direction est moins rigide bridée que sur le Tarmac SL7. Mais comme indiqué plus haut, si on est bon descendeur, cela ne vous privera pas de descendre rapidement en prenant du plaisir. Si vous êtes moins bon descendeur, l'Aethos vous pardonnera quelques erreurs de trajectoires et se montrera plus facile sur les mauvais revêtements.

Lendemain, même programme avec 115km et 1800m de D+, mais cette fois-ci au coeur de la Corse sauvage et de ses montagnes. Des paysages et des routes totalement différents avec des bosses plus longues que sur la première journée et des pourcentages relativement accessibles. Je décide donc de grimper toutes les bosses sur le grand plateau et un utilisant les deux plus grands pignons pour avoir plus de couple.

Sur des pourcentages allant jusqu’à 7/8%, c’est impeccable et le vélo est nettement plus facile qu’un modèle vraiment orienté compétition J’arrive à garder une bonne vitesse sur toute l’ascension du col de Bigorno.

La première descente en direction de Lento est magnifique, avec de nombreux virages serrés et des épingles sur une route étroite. L’occasion de voir que le vélo se montre très agréable à faire virer avec des changements d’angles faciles. Un comportement sans doute dû aux roues basses qui offrent peu d’inertie et au vélo très léger dans son ensemble. Il se montre plus à son aise que sur des virages passés à très haute vitesse. Le vélo se montre très joueur et précis sur chaque virage.

On peut prendre beaucoup d'angle et les pneus Turbo Cotton font des merveilles. Malgré une pression de 7 bars, ils offrent un superbe grip et permettent de prendre beaucoup d'assurance, même sur des descentes que l'on ne connaît pas du tout.

Le freinage à disques est dans ce cas très agréable, à la fois puissant et facile à doser et sur ces deux journées, je n’ai eu aucun bruit parasite en provenance des disques.

Au bas de la descente, on reprend un bout de nationale et en raison du vent de face, nous décidons de prendre des relais. Sur cette portion de route légèrement montante, le vélo semble moins facile qu’un Tarmac SL7 équipé de roue Roval Rapide CLX. C'est sur les faux plats descendants que c'est le plus visible. Même en mettant du braquet, au-delà de 40km/h, on sent que le vélo manque d'allonge par rapport à un vélo aéro. Sans forcément butter totalement, il lui manque un petit quelque-chose.

Et ce ne sont pas les deux gaines qui dépassent au niveau de la douille de direction qui freinent l'Aethos. Non, ce vélo est moins aéro qu'un Tarmac et associé à des roues basses, arrivé à plus de 40km/h, la différence de pénétration dans l'air se ressent.

Sur un long faux plat présentant des pourcentages maxi de 3%, le vélo permet de facilement garder un bon rythme. La descente qui suit est une succession de virages serrés à travers les oliviers. Tel un skieur de descente, on joue avec le vélo pour se jeter sur le prochain virage qui demande des trajectoires précises. Le grip des Turbo Cotton met en confiance et je prends de plus en plus l’habitude du vélo, me permettant de passer de plus en plus vite dans chaque enchaînement de virages.

L’Aethos est ici plus facile sans doute pour un non descendeur qu’un Tarmac SL7 qui est ultra précis mais demande un pilotage tout aussi précis. Il permettra au cycliste qui n’est pas très à l’aise dans les descentes de se sentir sans doute plus en confiance.

La dernière montée vers le désert des Agriates est longue de 6km avec 4% de moyenne sur un excellent revêtement. Que l’on grimpe assis ou en danseuse, je prends du plaisir. Chaque passage en danseuse permet de ressentir la légèreté du vélo et ce côté coup de raquette du triangle arrière.

L'idéal est, si possible, de conserver du couple avec un bon braquet pour conserver une bonne vitesse. Mais si les forces viennent à vous manquer, vous pourrez utiliser un petit développement et tourner les jambes sans ressentir vraiment que le vélo vous plante littérallement sur le bitume. Le cadre conserve toujours ce petit côté élastique fort agréable mais aussi un confort appréciable au bout de plus de 200 kilomètres de route.

Si l'on conjugue fatigue du cycliste et mauvais revêtement, un vélo très rigide peut vite devenir un instrument de torture.

Pour le retour à l’hôtel, reste 20km où l’on traverse le désert des Agriates, succession de petites montées et légères descentes, mais vent de face. Il faut s’employer pour maintenir une bonne vitesse. Sur la toute dernière partie, la descente est plus pentue avec de bons bouts droits. A l’approche des 60km/h, contrairement à un vélo aéro, on sent le vélo « buter » là où un modèle aéro continue à prendre de la vitesse. Si la pente est inférieure à 8%, il faut pédaler. A ces vitesses où la pénétration dans l'air est primordiale, le cadre moins aéro et les roues basses sont sans doute pénalisantes pour accroître sa vitesse. En contrepartie, même avec du vent, le vélo reste parfaitement stable et on est jamais surpris par une rafale.

Etant plutôt bon descendeur, j’ai vraiment pris du plaisir avec cet Aethos à enchaîner les virages. Mais il faut, en raison de sa légèreté et de son comportement légèrement moins précis à très haute vitesse, appréhender ce vélo. Une fois le mode d'emploi assimilé, l'Aethos est très facile à emmener et à balancer de virages en virages.

Bilan

Oui, le bilan est flatteur, très flatteur même et ce n'est pas faute de lui avoir cherché des défauts, hormis son tarif. Specialized, une fois de plus, ne s'est pas loupé, pour autant que l'on considère ce vélo pour ce qu'il a été conçu. Ce n'est pas un vélo aéro, ce n'est pas non plus "l'arme absolue" pour les coursiers.

A sa présentation l’Aethos m’est apparu comme un ovni que je ne savais pas vraiment où placer. Mais avec le Tarmac SL7 qui est venu prendre la place du Venge tout en restant léger mais clairement orienté compétition et coureurs puissants, l’Aethos vient, finalement, remplacer un ancien Tarmac tout en se montrant encore meilleur.

Un vélo parfait pour rouler entre copains, faire des cyclosportives et même aller faire les pancartes à l'entrée de chaque village. Il s'adresse à ceux qui, comme moi, sont à des années lumières des qualités physiques d'un professionnel, mais qui aiment grimper des cols pour le plaisir... même si ce plaisir est souvent long et douloureux... mais toujours avec la satisfaction d'avoir réussi à se hisser au sommet.

Pour un cycliste aux performances moyennes comme moi, l’Aethos est sans aucun doute le vélo le plus adapté. Même si mon cœur et mon amour des beaux vélos me ferait plus nettement pencher pour la ligne d’un Tarmac SL7, la raison me fera plutôt acheter un Aethos, avec lequel je ne roulerai sans doute pas beaucoup moins vite sur le plat -quitte à l’équiper de roues de 50mm par exemple pour les sorties tout juste vallonnées – mais qui permet de rouler tout le temps, sur tous les parcours, sans se poser la question de savoir si le vélo sera ou pas adapté à tel col ou à un fort vent.

L’Aethos est véritablement un vélo à tout faire, agréable en toutes circonstances qui ne demande pas de capacités physiques hors normes pour en tirer parti. Alors oui, cette version S-Works est chère, mais les versions Pro et Expert permettent de leur côté d’avoir un vélo qui reste léger avec des prix plus accessibles.

Bien sûr, le choix parfait, si vous en avez les moyens, restera un Tarmac SL7 + un Aethos. Mais si votre bourse est limitée (comme 95% des cyclistes) et que votre potentiel physique n’est pas celui d’un coureur Elite, l’Aethos remplit parfaitement son rôle. Certes, le design est moins flatteur qu’un vélo aéro, mais il vous emmènera partout, sur tous les types de route, en restant facile et confortable.

Crédit photos : Pauline Ballet pour Specialized