Attention, le but de cet article n'est pas de jeter la pierre aux vélocistes, marques ou distributeurs, mais d'expliquer un contexte difficile après quelques années fastes pour l'industrie du cycle.

Une bonne partie de cet article est réalisée grâce à l'Observatoire du cycle 2022 que vous pouvez télécharger ici.

Plus que jamais, il est temps de réaliser vos achats chez vos vélocistes si vous voulez que ces derniers passent cette phase compliquée et subsistent.

Des vélocistes parfois trop gourmands

En moyenne, les magasins de vélos ont revu à la hausse leurs commandes de vélos de 25 % durant les périodes post-confinement. Mais comme toute moyenne, cela cache de grandes disparités. Certains ont été prudents et n'ont commandé que 20 % de plus.... quand d'autres, gagnés par l'euphorie et la promesse d'un marché qui serait ad vitam æternam sur la même courbe de croissance, ont quasiment doublé leurs commandes.

Bien aidés par les prêts garantis par l'Etat (PGE) mis en place à l'époque pour soutenir les entreprises en difficultés. Certains commerciaux de marques ont bien joué leur rôle, en tentant de raisonner certains magasins - mais n'y arrivant pas toujours - quand d'autres ont vu là le moyen d'exploser leurs ventes et donc leurs primes.

Sauf que maintenant se profile le remboursement de ces PGE (même si des rééchelonnements sont prévus) en même temps que l'arrivée des commandes (vélos et périphériques) que les magasins vont devoir payer. 9 % des chefs d’entreprise de TPE et PME craignent ne pas pouvoir rembourser leur PGE selon le baromètre trimestriel de BPI France de mai 2023, contre 5 % fin 2022.

Il y a aussi la problématique des pièces. Parfois, les magasins ont passé commande de pièces auprès d'un fournisseur. Mais devant les délais annoncés (délais multipliés par 4 parfois.... avec plus d'un an sur certains composants), ils ont aussi passé la même commande auprès d'autres fournisseurs, parfois plus rapides. Sauf qu'avec le temps, les fabricants ont rattrapé leurs retards et les cargos ont pu reprendre la mer, les grèves portuaires ayant pris fin.

Toutes les commandes arrivent en magasins au moment où les ventes baissent.... et donc, la trésorerie vient à manquer pour certains.

Des marques surstockées en vélos

Face à cette énorme demande des magasins, les marques de vélos et de composants ont elles-aussi revu leurs commandes et cadencements, allant jusqu'à des progressions de commandes de +70%.

Arrive 2022 avec le début de l'inflation et les répercussions de la guerre en Ukraine. Vous l'aurez tous constaté, les vélos sont de plus en plus chers (certains ont connus jusqu'à 3 hausses de prix en 2022). Mais l'inflation touche tous les secteurs, dont l'alimentation et l'énergie, des besoins nettement plus vitaux que le vélo qui reste pour beaucoup un loisir. De plus en plus de ménages sont aussi dans une certaine incertitude financière.

Ceux qui ont acheté un vélo en 2021 ou 2022 ne vont certainement pas le renouveler de suite.

Résultat, les ventes de vélos chutent. -7% en nombre de vélos entre 2021 et 2022. Mais les vélos continuent à être livrés depuis l'Asie... mais les magasins, qui avaient commandé ces vélos, retardent le plus possible leur livraison, devant la baisse des commandes et parfois, leur impossibilité de payer.

Résultat, certaines marques ont dû investir dans d'énormes entrepôts (souvent aux Pays Bas, lieu d'arrivée des cargos) pour stocker tous ces vélos. Car une marque ne va pas prendre le risque d'imposer une livraison à un magasin sans la certitude de pouvoir être payée.

Aujourd'hui, en 2023, alors que tous les entrepôts et les magasins ont leurs stocks pleins, les discours sur la récession et l’inflation bloquent les portefeuilles des particuliers qui parent au plus important, aux besoins basiques. Si les ventes de vélos à assistances électriques restent soutenues, celle des vélos traditionnels dégringolent.

Cela a pour effet de mettre en avant une croissance de CA de 5.2% dans le secteur malgré la baisse de ventes du nombre de vélos. Le prix moyen d'un vélo est à 913 € en 2022 contre 310 € en 2012. +119 € entre 2021 et 2022.

Dans le détail, voici les prix moyens des vélos constatés sur 2022.

Des baisses de prix pour limiter la casse

Seule solution viable pour tous les acteurs de la filière, accepter de diminuer leurs marges. Fabricants, distributeurs et vélocistes consentent ainsi plus facilement -mais de gaieté de coeur - à des baisses de prix, pour permettre d'écouler leurs stocks tout en refaisant de la trésorerie. C'est le passage obligé pour beaucoup pour éviter de mettre la clé sous la porte.

Mais n'imaginez pas qu cela durera, ce ne sera que provisoire. Une fois les stocks écoulés et le marché revenu sur un fonctionnement normal, les prix pourraient bien repartir à la hausse pour absorber la hausse du coût des matières premières. Car à ce jour, la plupart de fabricants n'ont pas intégré, tout au moins entièrement, cette hausse en totalité.

Aujourd'hui, les commerciaux des marques jouent aux pompiers. Certains magasins refusent des vélos commandés en trop grande quantité... et demandent donc à d'autres magasins s'ils veulent bien de ces vélos devenus trop encombrants dans les entrepôts... moyennant des ristournes et des financements avantageux bien sûr.

Une mauvaise passe qui ne sera que transitoire mais fera de la casse

Fort heureusement, le marché du vélo reste sain et avec le vent en poupe. Il y aura forcément de la casse chez certains distributeurs ou vélocistes, mais ce sera simplement un "ménage" qui éliminera les plus fragiles ou ceux qui auront eu les yeux plus gros que le ventre. Car les détaillants restent au coeur du marché en valeur.

Mais la gestion "en bon père de famille" n'aura jamais aussi bien été de rigueur, et ceux qui ne se seront pas excités plus que de raison sur les commandes en 2021/2022 tireront leur épingle du jeu.

Le Plan Vélo et Mobilités Actives annoncé par Elisabeth Borne le 20 septembre 2022 ainsi que la transition vers une mobilité plus durable restent de bonnes nouvelles pour l'industrie du cycle et offrent un bel avenir à toute la chaîne.

Et si Shimano avait eu raison d'être prudent ?

A l'époque des problèmes d'approvisionnements, beaucoup ont fustigé Shimano qui ne créait pas de nouvelle usine de production pour faire face à la demande. Mais une usine ne se crée par du jour au lendemain (il faut plus d'une année), demande de nombreux investissements et Shimano, en tant qu'entreprise, voulait s'assurer que l'engouement 2021/2022 pour le marché du vélo allait perdurer avant d'investir plusieurs millions dans un nouvel outil de production.

De plus, le goulot d'étranglement sur 2021/2022 était aussi dû à l'impossibilité de faire voyager les produits du lieu de production vers les lieux de consommation, faute de containers et cargos. Quand bien même Shimano (et autres) aurait produit 2x plus, les pièces fabriquées seraient restées à quai à Asie.

Une prudence aujourd'hui justifiée, l'outil de production actuel étant largement satisfaisant.

Des lancements retardés

Face à cette "crise", certaines marques ont même retardé le lancement de nouveaux vélos. Certains étaient attendus cette année, mais avec les stocks du modèle actuel, impossible de lancer un nouveau modèle (qui pourrait en plus être moins cher vu la baisse de prix des transports) sans risquer de garder sur les bras le vélo actuel.... dont les entrepôts débordent. Et ce, même avec de fortes remises.

Des budgets communication coupés

Face à cette baisse des ventes et de trésorerie, les budgets communication des marques sont coupés.... et les médias comme Matos Vélo en font les frais. Certaines marques ont demandé à revoir à la baisse le budget qui avait été prévu en début d'année, chose relativement compréhensible.... même s'il faudrait communiquer sans doute encore plus pour vendre. Mais faute de trésorerie, c'est bien souvent le marketing et la communication qui voient leurs budgets coupés.