1. Quelle est ta relation vis-à-vis de ton vélo ? Simple outil de travail ou passionné de technique ?
C’est un peu compliqué de répondre dans la mesure où cette relation évolue au fil de la carrière ; il est clair que mes premiers beaux vélos, je les ai adoré. Ceux avec lesquels j’ai gagné de grandes courses aussi. Toutefois, au fur et à mesure des années et du nombre important de machines utilisées, il est clair que l’affectif est moins présent. Néanmoins, je fais toujours très attention à ma machine et si elle est rayée sur une chute ou pendant le transport, cela me dérange, même si c’est le vélo de l’équipe et que je le rends en fin d’année.
Pour ce qui est de la mise au point de mon vélo, il y a une part que je ne contrôle pas avec le matériel qui m’est fourni par mon équipe. Cependant, j’attache beaucoup d’importance aux sensations ressenties sur le vélo et à ses réglages, que ce soit pour la position ou les braquets. J’adore sentir la nervosité et la légèreté dans les cols, mais aussi la rigidité lors des relances et la précision dans les courbes des descentes de cols. Donc, je joue entre la rigidité du cadre et celle des roues pour trouver le bon équilibre entre ces paramètres un peu opposés que sont la rigidité et la nervosité. A choisir je préfère un cadre rigide et des roues nerveuses (légères et souples) plutôt que l’inverse.
La performance du cycliste rime avec la technicité et la technologie du vélo et encore plus en CLM où la position aérodynamique est primordiale ; mais dans tous les cas, le couple homme-machine ne doit faire qu’un.

2. Te tiens-tu au courant des dernières nouveautés dans le domaine du matériel ? Si oui, par quel biais ? Magazines, internet, autre ?
Mon mari qui s’intéresse un peu plus que moi repère les évolutions qui peuvent m’apporter un plus ; les marques qui me sponsorisent me tiennent au courant et ensuite les salons ou internet complètent mes sources d’information.

3. Comment es-tu arrivée dans le cyclisme ? Te souviens-tu de ton premier vélo ?
Je suis arrivée par le biais du VTT, j’ai commencé dans le club de randonnée de mon village, j’y ai pris goût et je me suis mis à la compétition à 19 ans. Mon premier VTT, je m’en rappelle très bien car j’ai travaillé tout l’été pour me le payer, un SUNN d’occasion. Lors de mon premier Championnat de France que j’ai fait avec j’ai cassé ma fourche, comme je n’avais pas assez pour en acheter une autre, j’ai fini la saison avec une fourche rigide.

4. Pneus, boyaux, quelles sont les forces et faiblesses de chacun selon toi ? Qu’utilises-tu en course ?
Pour les courses, je n’utilise que des boyaux, je me fais vraiment plaisir avec. Ils sont plus performants que ce soit au niveau du confort, de la sensation de rendement lors des relances et du poids. J’ai l’impression de mieux sentir la route, ça rend vraiment bien, je pense donc qu’il y a un gain de performance important avec les boyaux. En plus les roues à boyaux sont plus légères que les roues alu et la forme d’une jante à boyaux est bien plus naturelle que celui d’une jante à pneu qui doit pincer le pneu.
J’utilise les pneus uniquement pour l’entraînement. Le jour de la course, il faut que ce soit jour de fête, la belle tenue, le vélo super propre….et les belles roues carbones à boyaux finissent de rendre cette journée différente des jours d’entrainement. Donc je n’utilise généralement que des belles roues en course.

5. Lors de tes entraînements tu es plutôt pneus, boyaux ou tubeless ? Pour quelles raisons ? Quelles pressions utilises-tu en général ?
Je suis plutôt pneu pour une question de coût, et il faut prendre moins de matériel pour réparer en cas de crevaison. En VTT je suis Tubeless car moins de crevaison et plus confortable que le pneu à chambre.
En cyclo-cross, j’utilise des boyaux car les sensations sont totalement différentes, le boyau adhère mieux, on peut jouer sur la pression en fonction du sol (sec, boueux, sablonneux). Je n’ai pas eu l’occasion d’utiliser les boyaux en VTT mais j’aimerai vraiment essayer.
Sur route, compte tenu que je ne fais que 50kg, la pression avec les pneus est de 7 bars, les boyaux entre 6 et 8 bars, que j’adapte en fonction de la météo et du revêtement.
En cyclo-cross, ça change en fonction du type de circuit, d’1 à 2 bars.

6. Quel a été ton plus gros braquet utilisé en CLM ? Et le plus petit braquet utilisé en course (sur quelle course ?)
Mon plus gros braquet utilisé longtemps en course c’était 53x12, au Tour du Languedoc cette année, la première partie sur du plat bénéficiait d’un vent favorable, je rallais que l’équipe ne nous ai pas monté le 11 dents, j’aurais pu l’emmener et gagner quelques kilomètres heure. Et le plus petit braquet 36x27, dans les étapes de hautes montagne comme le Giro féminin.

7. Contrairement aux équipes pro hommes, votre staff de mécanos semble un peu plus réduit. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
Généralement, il y a un mécano par équipe. C’est sûr que ça lui fait pas mal de travail lors des courses à étapes mais pour les courses d’un jour l’équipe a les vélos de course pendant toute la saison et chez moi j’ai un 2ème vélo d’entraînement comme cela il n’y a pas de soucis.
A la maison mon mari s’occupe de l’entretien du vélo ce qui est appréciable.
En cyclo-cross tout coureur international de premier plan doit avoir un mécano personnel sur toute la saison. Il y a une certaine connivence qui s’installe, le mécano devine à l’avance les choix du coureur et peut anticiper les choix de roues, boyaux ou de pressions, cela permet une mise au point plus rapide et facile le matin de l’épreuve où le temps de roulage sur le circuit est limité à cause des courses qui s’enchaînent sur le circuit.

8. Es-tu sensible au poids de ton vélo ou est-ce plutôt le confort et la réactivité qui sont recherché ?
Plutôt grimpeuse, je fais attention au poids du vélo et je trouve que c’est encore plus important chez une féminine. On est généralement plus petite et plus légère, ça serait encore plus difficile d’avoir un vélo lourd. Je fais attention aux roues qu’elles soient légères et dynamiques. Nous sommes limitées comme les hommes à 6,8 kg minimum, donc il faut faire attention de ne pas tomber en dessous, pas la peine de se prendre la tête à gratter du poids sur les composants. D’ailleurs ce règlement des 6,8 kg est une aberration : le même poids pour les hommes et les femmes, et quelle que soit la discipline : VTT, cyclocross, route, CLM et je crois que sur piste c’est pareil ! ! !
La réactivité du cadre reste la priorité, le confort reste secondaire sauf au niveau de la selle qui doit être parfaitement adaptée, toute douleur ou blessure à ce niveau pose immédiatement un problème de relâchement dans l’effort et va altérer le rendement.

9. Es-tu impliqué avec tes sponsors dans le développement du matériel ? Si oui, comment ?
On ne peut pas dire que je sois en première ligne dans le développement du matériel qui va être mis sur le marché par les marques. Par contre, j’essaye toujours de trouver de nouvelles améliorations à mes machines sur lesquelles je teste différentes solutions techniques.

10. Malgré le sponsoring, as-tu une certaine latitude sur le choix de certains périphériques comme les pédales, la selle, … ?
Sur route, les latitudes sont limitées, quelques fois on peut choisir nos pédales ou nos selles si l’équipe n’a pas eu de contrat pour cela. Je suis habituée aux plateaux et pédaliers Rotor, jusqu’à maintenant j’ai toujours réussi à imposer mon choix à ce sujet. En cyclocross, les besoins en matériel sont très importants et les marques ne se bousculent pas pour nous équiper, j’ai trouvé la solution avec mon magasin Cycles-Mari qui me fournit les vélos en me donnant carte blanche, là c’est vraiment super de choisir exactement ce que l’on pense être les meilleures solutions.

11. Du côté entraînement, utilises-tu un capteur de puissance ? Si oui, quel changement par rapport aux entraînements avec cardio ?
Oui j’utilise Powertap comme capteur de puissance depuis 4ans et cette année sur un des vélos pour avoir les puissances en course j’utilise Power2max.
J’utilise toujours un cardiofréquencemètre pour enregistrer mes pulsations, mais le but est d’analyser après la séance pas de cibler le travail par rapport aux pulsations.
Les pulsations, c’est bien pour débuter, relier forme et sensations mais il est illusoire d’espérer travailler sur des intervalles d’effort avec précision.
En travaillant avec les puissances, en plus de pouvoir travailler dans des intervalles calibrés de façon étroite, on peut mieux quantifier les quantités de travail fournies, et donc connaître la charge de travail effectuée. Mais pour en arriver là, il faut un entraîneur qui sache bien établir le potentiel du coureur avec des tests appropriés et ensuite que l’entraîneur sache bien calibrer les efforts à faire.

12. On parle beaucoup de l’apparition des freins à disques sur les vélos de route. De nombreuses marques ont présenté au moins un modèle route équipé de cette technologie lors de l’Eurobike. Ton avis sur ce système ? Utile ou pas sur la route ? En cyclo-cross ?
Je n’ai pas pu tester mais c’est du marketing avant d’être une amélioration pour le coureur. Les freins à disque c’est bien en VTT où il y a des conditions extrêmes, de gros pneus pour adhérer lors du freinage.
Sur route, lors d’un freinage puissant, la limite vient de la petite section des boyaux, pas des freins. Si vous freinez fort sur route, les roues se bloquent voilà tout, il n’y a aucun cas de figure qui nécessite cette puissance. Par contre pour avoir des disques de freins sur un vélo il faut beaucoup plus de poids, et des roues rayonnées croisées à trois, adieu les rayonnages droit super réactifs et je ne parle pas du surpoids des roues….Donc pour gagner en puissance de freinage dans des descentes à 20% (pas super courant en vélo de route) on va perdre sur tout le reste…. Pas rentable.
En cyclocross, dans les conditions extrêmes sur neige ou glace, on pourrait y réfléchir, mais les tops pilotes internationaux ne freinent jamais, ils ne font que des ralentissements pour se replacer à l’entrée des virages….

13. De plus en plus de coureurs sont adeptes de l’application Strava sur Smartphone afin de partager leurs sorties avec leurs fans. Connais-tu cette application et l’utilises-tu ?
Je connais l’application depuis peu mais je ne l’utilise pas.

14. Côté textile, que conseilles-tu pour de longues sorties aux cyclistes ? Utilises-tu de la crème appliqué sur la « peau » ? Car de nombreux cyclistes souffrent parfois du fessier après une très longue sortie….comment gérez-vous cela sur un grand tour ?
Ce n’est pas facile sur les courses à étapes et souvent on en souffre surtout avec la chaleur, après un clm où l’appui en bec de selle est très important.
Pour éviter cela, il faut déjà tester plusieurs selles et voir celle qui nous convient le mieux. C’est la première astuce qui m’a réglé le problème. Ensuite, ne pas lésiner sur la qualité du cuissard, avec une bonne peau de chamois, ça change la vie. Enfin, pour ma part, je mets tout le temps de la crème pour cuissard pour éviter les frottements.

15. Pour l’hiver, comment t’habilles-tu pour les journées les plus froides ? Multiplication des couches ?
Souvent je mets un dessous long et chaud mais respirant et la veste thermique. Je ne multiplie pas les couches, je préfère mettre une veste d’hiver chaude qui ne laisse pas passer le vent et respirant pour ne pas être trempé. S’il fait très froid je rajoute une veste sans manche type Goretex.
Généralement, c’est souvent les extrémités qui souffrent le plus du froid, j’essaie de trouver des gants chauds, chaussettes et je mets aussi des chaufferettes dans les chaussures.

16. Ton avis sur les textiles de compression pour la récupération ? Adepte ou non ?
Je suis plutôt pour, je trouve que c’est un plus pour la récupération après les compétitions.

17. Quel est ton kilométrage annuel moyen ?
C’est difficile à dire car comme je fais la saison de cyclo-cross, je fais moins de km l’hiver et ce n’est pas très précis. De plus, je suis dans une région où il n’y a que des bosses donc pour faire des sorties à une moyenne de 30km/h ce n’est pas facile ainsi ce n’est pas très comparable. Je fais aux alentours de 18000 kms.

18. Une semaine d’entraînement type pour toi, ça ressemble à quoi ? Plutôt du matin ou l’après-midi ? Entraînement seul ou avec d’autres coureurs ?
Je préfère m’entraîner le matin vers 10h et souvent c’est seule car il n’y a pas beaucoup de cyclistes là où j’habite. Mon mari vient quelques fois avec moi et on peut faire des entrainements spécifiques ensemble, c’est sympa. Sinon ce n’est pas facile de rouler avec d’autres personnes quand on a des exercices à faire.


19. Es-tu adepte de l’entraînement sur Home Trainer ou est-ce seulement par obligation ? Quels entraînements fais-tu sur ce type d’appareil ? Sur quelle durée maxi ?
Je n’aime pas trop l’entraînement sur home-trainer, j’en fais quand il pleut l’hiver ou à l’échauffement d’un cyclo-cross ou d’un clm. Généralement c’est 2h maxi, des fois je préfère même faire mes intensités sous la pluie et faire juste l’échauffement et la récupération sur l’home-trainer.

20. Côté alimentation, qu’apportes-tu avec toi pour tes sorties d’entraînement ?
J’utilise toujours de la boisson énergétique Ergysport pêche pendant l’entraînement et une barre énergétique si je fais plus de 2h30.

21. Comme j’ai pu le constater lors du Tour du Languedoc, la logistique pour les féminines est beaucoup plus light que chez les hommes. Est-ce le cas sur toutes les courses ou seulement en France ?
D’une façon générale, beaucoup de courses sont comme cela mais je trouve que dans les autres pays comme l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, ils font de plus en plus un effort pour notre confort et nous mettre dans de bonnes conditions avant les courses. Ils essaient de trouver des moyens de médiatiser les courses pour trouver un peu plus de sponsors. En France, il y a ce manque de médiatisation qui est un gros problème pour les organisateurs afin de trouver les sponsors mais est-ce qu’on se donne vraiment les moyens de trouver des solutions pour parler du cyclisme féminin?
Quand je vois qu’un ami qui fait de superbes vidéos sur les courses internationales féminines et sur les Coupes du Monde en Cyclo-cross, et il n’y a qu’en France où il a eu des soucis pour avoir l’autorisation de filmer et une fois on le lui a interdit. Je pense qu’il y a un gros travail à faire pour changer les mentalités en France.
Je rentre du Giro féminin et c’était vraiment bien organisé, on se sentait vraiment professionnelles. Le public répondait présent sur les bords des routes, les villes départ et arrivé étaient toujours animées et un résumé d’une heure de la course était retransmis tous les soirs sur Rai Sport 2.

22. Quel regard portes-tu sur les différences de médiatisation et du nombre de courses entre le cyclisme féminin et masculin ?
Ça n’a rien avoir. Il n’y a presque pas de médiatisation chez les féminines. Par exemple, pour les Championnats de France sur route, nous pouvons voir la course des professionnels hommes sur une chaîne nationale alors que pour notre course qui est la veille, rien n’est retransmis. Tandis que pour les Championnats de France de VTT, ils diffusent les différentes disciplines hommes et femmes.
En France, nous pouvons voir les Championnats du Monde de Cyclo-cross et sur route sur les chaînes payantes comme Sport + ou Eurosport mais sur la Chaîne nationale nous ne pouvons voir que les hommes.
Je vois dans certains pays comme l’Italie, les Pays-Bas ou la Belgique, un peu plus de courses sont retransmises. Pendant le Giro féminin, nous pouvons voir un résumé d’1h tous les soirs de chaque étape.
On aimerait voir plus de courses féminines en ouverture des courses professionnelles pour profiter du public et de la médiatisation, afin de nous faire connaître, comme ils le font pour le Tour des Flandres et la Flèche Wallonne. On aimerait pouvoir faire un Paris-Roubaix et un Tour de France féminin mais je pense qu’on va devoir encore attendre...

23. Arrives-tu à vivre intégralement de ton sport ou, comme beaucoup de féminines, tu es obligé de travailler à côté ?
Je travaillais avant à mi-temps mais pour progresser j’ai décidé de ne faire que du vélo. Ça été dur au début mais après mon titre de Championne de France, j’ai pu trouver des partenaires et je suis rentrée dans de belles équipes étrangères qui m’ont permis de pouvoir faire du vélo à 100%. Cependant je ne suis pas professionnelle comme les hommes, je n’ai pas de contrat pro.

24. Regrettes-tu l’absence au calendrier d’une grande course féminine comme le Tour de France ?
Oui, comme je l’ai dit précédemment, ça serait vraiment super si on pouvait avoir le Tour de France féminin en même temps que les hommes comme il y a eu quelques années. Cela permettrait une médiatisation du cyclisme féminin en France et de le développer afin de le professionnaliser pour rivaliser avec les autres nations.

Merci à Christel Ferrier Bruneau pour cette interview ultra-complète. Vous pouvez le retrouver sur son site internet.

Et si une course féminine se déroule près de chez vous, n'hésitez pas !