Les tarifs douaniers de Trump : Quel impact potentiel sur le prix des vélos en Europe ?
Par Divers - Commentaires : 15 .
le dimanche 6 avril 2025 15:02 -L'ère de la présidence de Donald Trump a été marquée par une politique commerciale agressive, caractérisée notamment par l'imposition de droits de douane sur une large gamme de produits importés aux États-Unis, ciblant particulièrement la Chine.
Si l'objectif affiché est de protéger l'industrie américaine et de rééquilibrer la balance commerciale, ces mesures auront des répercussions complexes et souvent indirectes sur les marchés mondiaux. L'industrie du vélo, fortement globalisée, ne devrait pas échapper à ces turbulences.
En plus d’un droit de douane proche de 10 % sur les importations aux Etats-Unis, de nombreux pays essentiels à l’industrie du vélo ont vu des taxes encore plus élevées, dont 32 % à Taïwan. Mais quel pourrait être l'effet potentiel de ces tarifs sur le prix des vélos vendus en Europe ?
Pour avoir des réponses, j'ai contacté plusieurs personnes travaillant dans l'industrie, aussi bien en France qu'à l'étranger. Un point commun, tous sont inquiets et clairement, les prix vont sans doute monter partout dans le monde, pas seulement aux Etats-Unis.
Mais l'incertitude est énorme. Et pour les industriels, il n'y a rien de pire que l'incertitude de l'avenir. Les chefs d'entreprises ont pour habitude de gérer à moyen et long terme leurs activités. Là, ils naviguent à vue.... dans un brouillard total.
Un choc pour l'industrie du vélo aux US
Bien sûr, la majeure partie du problème sera pour le marché américain.
Par exemple, une bicyclette importée de Taïwan aura un droit total de 43 % (11 % de droit de base supérieur à 32 %). En gros, un tarif qui va augmenter au bas mot de 40 %.
Si cette bicyclette est produite en Chine, le coût pour un consommateur américain pourrait augmenter de plus de 80 %. Tout ceci est pour le moment pure spéculation, mais c'est du domaine du possible.
Certaines petites marques, avec de faibles marges, ont d'ores et déjà acté de se retirer de ce marché. Pour les plus grandes marques, deux options :
- augmenter les tarifs et faire payer ces taxes aux consommateurs
- rogner leur marge et absorber, au moins en partie, cette augmentation
Mais chaque vélo vendu aux Etats-Unis sera impacté, car aucun vélo n'est, pour l'heure, 100 % américain.
Même les artisans qui produisent des vélos en alu ou en acier aux Etats-Unis seront impactés, car il y a de fortes chances que les producteurs nationaux de métal augmentent leurs prix pour correspondre à l'augmentation du coût des métaux importés en raison des droits de douane. Et de toutes façons, la plupart des périphériques nécessaires pour construite un vélo (cintres, potences, transmissions, roues, ...) sont produits actuellement en Asie.
Une production aux Etats-Unis de tout cela est pour le moment impossible à grande échelle et demanderait des années pour créer l'outil industriel nécessaire.
Une industrie mondialisée sous tension
Pour comprendre l'impact potentiel, il faut d'abord saisir la structure de l'industrie du cycle. Même les marques européennes les plus renommées dépendent massivement de chaînes d'approvisionnement mondiales :
- Composants clés majoritairement asiatiques : Une grande partie des composants essentiels (cadres, roues, dérailleurs, freins, etc.) est fabriquée en Asie, principalement en Chine, mais aussi à Taïwan, au Vietnam ou au Cambodge. Même les entreprises qui produisent ailleurs, comme Campagnolo, importent des pièces forgées de Taiwan.
- Assemblage en Europe (parfois) : De nombreuses marques européennes assemblent leurs vélos sur le continent, en important les pièces détachées. D'autres importent des vélos complets fabriqués en Asie.
- Matières premières : La production de cadres et de composants repose sur des matières premières comme l'aluminium et l'acier, dont les prix sont influencés par les tensions commerciales globales.
Les mécanismes d'impact indirect sur les prix européens
Les tarifs douaniers imposés par l'administration Trump visaient principalement les importations aux États-Unis. Cependant, leur effet sur les prix européens peut se manifester de manière indirecte :
- Augmentation du coût des composants : Si les fabricants chinois de composants (par exemple, Shimano, SRAM, ou de nombreux fabricants de cadres en sous-traitance) voient leurs exportations vers les États-Unis taxées, ils pourraient chercher à compenser la perte de leur marge. Cela peut se traduire par une augmentation générale de leurs prix de vente à l'échelle mondiale, affectant donc aussi les marques européennes qui s'approvisionnent auprès d'eux.
- Hausse du prix des matières premières : Les tarifs américains sur l'acier et l'aluminium (qui ne proviennent pas uniquement de Chine) sont perturbé les marchés mondiaux de ces métaux. Une augmentation globale du coût de ces matières premières se répercute inévitablement sur le coût de fabrication des cadres et de nombreux composants, où qu'ils soient produits ou assemblés.
- Perturbation et réorganisation des chaînes d'approvisionnement : Face aux tarifs américains, certaines entreprises pourraient chercher à déplacer leur production hors des pays asiatiques impactés par ces droits de douane. Mais cela ne pourrait toucher que les vélos "de masse", à savoir les vélos enfants par exemple ou à bas coût. Il semble impossible pour l'heure de relocaliser aux Etats-Unis la production de composants en carbone. Cette réorganisation a un coût (investissements, logistique) et peut entraîner une saturation des capacités de production dans les pays alternatifs, faisant grimper les prix par effet d'offre et de demande. Les acheteurs européens se retrouvent en concurrence accrue pour ces capacités.
- Incertitude économique générale : Les "guerres commerciales" créent un climat d'incertitude qui peut inciter les entreprises à augmenter leurs prix par précaution ou à répercuter plus rapidement toute hausse de coût, de peur de futures perturbations.
Facteurs atténuants
Il est crucial de noter que l'impact réel sur le consommateur européen n'est pas automatique ni uniforme :
- Concurrence : Le marché européen du vélo est très concurrentiel. Les marques peuvent choisir d'absorber une partie de la hausse des coûts pour ne pas perdre de parts de marché.
- Taux de change : Les fluctuations entre l'euro, le dollar et les monnaies asiatiques peuvent amplifier ou atténuer l'effet des tarifs.
- Stratégies des marques : Certaines marques européennes disposant de sites de production intégrés en Europe (notamment pour les cadres haut de gamme) pourraient être moins affectées sur certains modèles. C'est le cas de la plupart des marques, qui ont souvent des points d'entrées directs en Europe. La majeure partie des vélos (que ce soit Specialized, Trek ou Cannondale) ne passent pas par le continent américain et arrivent directement d'Asie aux Pays-Bas.
- Autres facteurs : L'impact des tarifs s'est ajouté à d'autres facteurs majeurs influençant les prix des vélos, comme la pandémie de COVID-19 (explosion de la demande, coûts logistiques), les pénuries de composants, et l'inflation générale plus récente. Isoler l'effet spécifique des tarifs de Trump est donc complexe.
Seule exception qui me vient en tête, les peintures personnalisées Project One de Trek. Celles-ci sont en effet réalisées à Waterloo, au siège de Trek, ce qui oblige à importer le vélo aux Etats-Unis. Un aller-retour aux Etats-Unis qui explique déjà en partie le coût des peintures Project One.
Mais avec ces nouveaux droits de douane, les vélos bénéficiant d'une peinture Project One verraient automatiquement leur coût renchéri de ces taxes douanières.
Il est fort possible que Trek soit donc obligé de revoir son process de personnalisation de peinture pour éviter cette entrée sur le territoire américain. Soit en réalisant les peintures en Asie, soit en délocalisant le process Project One en Europe.
Une occasion de déstockage pour les marques
Ces droits de douane ne s'appliquent pas aux vélos déjà fabriqués et déjà entreposés par les marques dans leurs zones de stockage US ou en Europe.
Et pour certaines marques (la plupart), il existe encore de gros stocks de vélos. Sans doute l'occasion de se débarrasser enfin de ces vélos qui seront, forcément, moins chers que les nouveaux vélos impactés par les hausses de prix.
Mais cela restera un effet positif marginal et pour un temps court.
Les budgets communication, premiers à être rabotés
Comme toujours dans pareil cas, les marques vont tenter de limiter la casse côté marge en faisant des économies sur les budgets communication.
Cela impactera les médias comme Matos Vélo, mais aussi les influenceurs, le sponsoring d'athlètes ou de courses nationales par exemple. Les organisateurs de courses, déjà en difficultés, pourraient bien là voir leurs dernières rentrées d'argent disparaître.
Conclusion
Bien que les tarifs douaniers de Donald Trump n'aient pas directement ciblé les importations de vélos en Europe, leur impact potentiel sur les prix pour les consommateurs européens est réel, quoique principalement indirect.
En augmentant potentiellement le coût mondial des composants clés et des matières premières, et en perturbant les chaînes d'approvisionnement, ces politiques commerciales vont contribuer à une pression haussière sur les coûts de production dans cette industrie globalisée. Si d'autres facteurs économiques ont joué un rôle plus visible ces dernières années, l'épisode des tarifs Trump souligne à quel point les décisions politiques prises à Washington peuvent avoir des répercussions ressenties jusque dans les magasins de vélos européens.
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